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RAABE WILHELM (1831-1910)

L'année où paraît en Allemagne La Chronique de la rue aux Moineaux de Raabe est celle de la publication de Madame Bovary et des Fleurs du mal. Dans cette partie du siècle dominée en Allemagne par Bismarck, cela souligne l'isolement de la littérature d'outre-Rhin ; cela montre aussi combien Raabe, au même titre que ses contemporains Keller ou Meyer, était éloigné des romanciers français, d'un Flaubert, d'un Zola ou d'un Balzac. La solitude de Raabe, son humour, ses personnages souvent insignifiants ne peuvent faire oublier qu'il y avait là une manière, fût-elle incomplète, de rendre compte de ces décennies extrêmement pauvres sur le plan littéraire.

Solitude et pessimisme

Sa solitude, Wilhelm Raabe la doit tout d'abord à sa naissance dans une petite ville du duché de Brunswick. Toute sa vie il restera un provincial, à l'écart des grands centres culturels de l'époque. S'il est reconnaissant à Magdebourg de l'avoir accueilli en 1849 (il dira en 1906 : « La vaillante ville de Magdebourg me préserva de devenir un jurisconsulte, un pédagogue, un médecin ou même un pasteur médiocre, bonheur pour lequel je ne saurais être assez reconnaissant »), ses quarante dernières années se passent à Braunschweig, où il se retire. Sa solitude est parfaitement reflétée par le Journal qu'il tient de 1857 à sa mort, et dans lequel il ne note que de menus faits quotidiens, à l'exclusion de toute rencontre avec ses contemporains et même de toute réflexion sur son œuvre ou sur son temps.

Seul dans l'existence, Raabe l'est aussi dans son époque. L'industrialisation de son pays l'irrite, et il lui oppose le moulin, véritable symbole pour lui du passé, de la poésie, d'une vie plus humaine : Le Moulin de Pfister (Pfistersmühle, 1884). Solitaire aussi face à ses contemporains. Fontane, parlant de cet ouvrage, ne dit-il pas : « C'est tout à fait Raabe ; brillant et dépourvu de goût, profond et vide. » Seul Hesse, qui lui rendra visite en 1909, lui manifestera quelque sympathie, et Raabe doit attendre la fin de sa vie pour connaître dans son pays un hommage et une reconnaissance publiques. Lui-même n'est pas tendre vis-à-vis des auteurs de son temps. Les naturalistes sont pour lui les « asthmatiques de l'art ». Solitaire encore face au philistin allemand auquel s'attaquent tous les auteurs de cette seconde partie du xixe siècle, ce philistin qui tient tout ensemble du petit bourgeois et du parvenu, de l'homme borné et du mouton de Panurge, et qu'incarne dans son roman Abu Telfan toute la population d'une ville allemande, ou que l'on retrouve symbolisé par un marais. Cette solitude sans appel n'avait rien qui dût inciter Raabe à l'optimisme.

Malgré la bonhomie, la douceur qui apparaissent dans certains personnages de ses romans, ainsi Élise dans La Chronique de la rue aux Moineaux (Die Chronik der Sperlingsgasse, 1857), une impression de désolation demeure après la lecture de ses œuvres. Le fatalisme ne se retrouve pas seulement dans ce titre de Wer kann es wenden ? (1859) que l'on pourrait traduire par Qui peut changer le destin ? Les autres exemples sont nombreux. Raabe est bien le Sever sans illusions et sans espoir d'Après la grande guerre (Nach dem grossen Kriege, 1861) ; dans ce roman en douze lettres, le correspondant de Sever a d'ailleurs un nom significatif : Wolkenjäger (« chasseur de nuages »).

Enfin, pessimisme et image de mort que ce Schüdderump (1870), charrette qui transporte les cadavres des pestiférés. La morale de cet ouvrage est un constat de la laideur de ce monde « où la canaille est et reste le maître ».

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