WILLIAMS WILLIAM CARLOS (1883-1963)
La trilogie
William Carlos Williams est avant tout poète et ne trahit pas sa vocation. Sa première tentative dans le champ du roman, A Voyage to Pagany (1928), se solda par un échec : l'auteur en fut à peine surpris. En 1951, il confie dans son Autobiographie : « Je détestais ce genre que je jugeais « romantique ». J'écrivis donc un de ces sacrés trucs pour voir ce que je pourrais en tirer. »
Ce qu'il est convenu d'appeler la « trilogie » comprend White Mule (1937), In the Money (1940) et The Build-Up (1952). White Mule fut sur-le-champ fort bien accueilli : « Ce fut mon premier vrai succès », écrit Williams dans son Autobiographie.
Trilogie ou autobiographie ?
Dans ces trois romans, une double perspective s'offre en ce que nous avons à la fois une histoire de famille et l'histoire d'une famille d'immigrants, de 1893 à la veille de la Première Guerre mondiale.
Une histoire de famille d'abord, puisque Williams s'attache à relater la vie des Stecher. Tout commence avec la naissance de Florence, le 18 avril 1893, et Florence n'est autre que Florence-Flossie Herman, celle que Williams épousera en 1912. Début initiatique, éclosion de l'être (et le premier chapitre s'intitule tout naturellement « Être »), entrée dans l'existence, origine, ouverture, non pas préambule ni prélude, mais bien plutôt provocation immédiate, inaugurale.
Le docteur Williams décrit en détail la venue au monde de Flossie, il assiste – par voyeurisme privilégié – à la naissance de celle qui sera sa femme. Audace de ce trajet singulier par quoi s'inscrit chez Williams le goût, le besoin de retrouver la saveur, la fraîcheur de la source vive, l'intégrité, la pureté de l'origine. La première phrase de White Mule instaure une genèse païenne : « Elle fit son entrée, comme Vénus sortant de la mer, ruisselante. »
Florence-Flora-Flossie naît avec le désir qu'éprouve Williams de la créer. La créer comme l'œuvre qu'il porte en lui, comme le fils qu'il lui donnera à la fin de The Build-Up. Pour le poète-médecin, tout s'inscrit autour de deux pôles : l'origine et la fin ; ainsi, dans The Build-Up, le jeune Paul Stecher meurt accidentellement peu après la naissance du premier fils de sa sœur Florence. Célébration et deuil, la même danse mène la ronde de l'être et l'entraîne jusqu'à l'épuisement. Williams n'accordera jamais autant d'attention à Flossie que dans ces trois romans consacrés à son enfance et son adolescence, sinon dans l'admirable poème « Of Asphodel, that Greeny Flower » que le poète lui dédie au bord de la mort.
Plutôt que de trilogie, il serait plus exact de parler d'autobiographie. En effet, ce qui l'emporte, c'est la curiosité passionnée que Williams manifeste envers Flossie ; comme s'il la découvrait à la décrire, l'analyser, comme s'il l'inventait, démiurge tout-puissant, comme s'il la rencontrait pour la première fois, pénétrant de façon fulgurante le secret peut-être trop longtemps gardé, ressaisissant dans l'imaginaire les fils d'une histoire vraie tout en improvisant l'improbable et fondant le vécu.
Ce que Williams suit à la trace, c'est l'éveil de Flossie, son évolution et celle de sa sœur, cette Lottie qu'il aimera avec ferveur ; et ce jusqu'à la fin de The Build-Up, où les deux frères Bishop, Fred, l'architecte, et Charlie, le futur médecin, s'affrontent. Fred l'emporte provisoirement dans le cœur de Lottie ; le frère brise alors le miroir du même et s'installe la solitude pour Charlie. Le trait le plus paradoxal de cette autobiographie, de ce lieu, de ce rapport étroit entre l'auteur et son objet, on ne le saisit qu'au terme de The Build-Up, au moment où Charlie dépité, éconduit[...]
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Écrit par
- Laurette VÊZA : professeur à l'université de Paris-III
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