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FAULKNER WILLIAM (1897-1962)

Le projet faulknérien

L'œuvre de Faulkner, ni « saga » du Sud, ni poème réitéré de la chute et de l'irrémédiable (on avait trop coutume, en France notamment, de voir tout l'œuvre de Faulkner comme celui d'un poète maudit), est avant tout la représentation d'un prodigieux effort, qu'elle dit dramatiquement, par l'action de ses héros, mais qu'elle exprime aussi, structurellement, par ses formes toujours renouvelées. C'est d'ailleurs en cela qu'elle diffère radicalement de celle de Hemingway, qui tend à cacher l'effort.

Faulkner s'est constitué une éthique (qui fut d'abord professionnelle) dont sa vie est la preuve et son œuvre la figure. Cette éthique est l'âme, non de ce que Sartre a appelé sa métaphysique, et Butor sa théologie, mais de ce qu'il faudrait appeler bien plutôt, en pensant que Faulkner s'est porté aux autres en s'arrachant au solipsisme romantique, son anthropologie. Celle-ci, née du désir de recenser les attitudes « immémoriales » de l'homme en son imaginaire comté du Yoknapatawpha, aboutit à la vision d'une sorte de chronique des comportements, qui est précisément celle que revendiqua Faulkner comme un droit acquis à l'âge d'homme de sa création. En détachant l'œuvre de l'homme, on doit enfin pouvoir parler de l'amoralisme impersonnel de Faulkner le romancier.

Cela exclut l'assimilation du point de vue moral des personnages avec celui de l'auteur – en tant qu'homme. Gavin Stevens (qui, d'ailleurs, évolue) n'est pas plus Faulkner vieux que Quentin Compson n'est, à lui seul, Faulkner jeune, et que les Noirs ne sont le Faulkner de toujours. Il n'y a pas de Faulkner « essentiel » – notamment le chrétien de la faute, du châtiment et de la rédemption par la souffrance, qui succéderait à l'existentialiste et au désespéré – sauf pour ceux qui, en arrêtant son œuvre à l'une de ses phases, choisissent un Faulkner qui « est » contre un Faulkner qui est devenu, ou pour ceux qui voient dans ses références judéo-chrétiennes un recours en conscience et non une symbolique parmi d'autres. Le Hameau est construit sur un système d'échos ironiques renvoyant à la pastorale ancienne ; Descends, Moïse, malgré son titre, n'a besoin d'aucun support pour exister superbement.

L'œuvre, au contraire, donne une succession qui représente un changement constant. Du double tableau d'Étendards, on passe aux trois points de vue successifs du Bruit et la fureur, auxquels s'ajoute enfin celui de l'auteur dans la quatrième section, puis aux quinze narrateurs de Tandis que j'agonise ; avec Lumière d'août, Faulkner trouve la structure en spirale qu'il fait triompher dans Absalon ! Absalon ! où elle est conjuguée avec une multiplicité des points de vue finalement fondus en un seul, impersonnel. Dans Les Palmiers sauvages, deux sujets, deux formes de récit, un seul thème : l'aventure de l'innocence masculine dans l'océan de l'expérience. Avec Les Invaincus (1938), qui marque le début de la seconde phase, beaucoup plus « distanciée », de sa création, Faulkner tentait la composition d'une œuvre originale à partir de nouvelles, méthode qui trouve la perfection dans Le Hameau (1940), puis dans Descends, Moïse. Toute la dernière période est placée sous l'exergue : « La vie est le mouvement, la stase est la mort », qu'incarne l'inoubliable Ratliff et qui tire sa force d'avoir été vécu comme une expérience à l'époque des tentations. Dès lors, et notamment dans Parabole, Faulkner élabore un théâtre chanté de l'expérience où l'on perçoit les poignants rappels de l'innocence perdue. Même dans Requiem pour une nonne (œuvre qui prépare Parabole plus qu'elle[...]

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Écrit par

  • : agrégé, docteur ès lettres, professeur de littérature américaine à l'Institut d'anglais Charles-V de l'université de Paris-VII

Classification

Média

William Faulkner - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

William Faulkner

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