FAULKNER WILLIAM (1897-1962)
Sujets et thèmes de Faulkner
On s'aperçoit que l'œuvre de Faullner, au fond, s'inspire de quatre sujets : la guerre (surtout les deux siennes, c'est-à-dire celles qu'il n'a pas pu faire, celles de Sartoris) ; le Sud (géographie, histoire, légende, mythe) ; les Noirs (données immédiates de la conscience pour tout sudiste, comme le dit William Styron, mais surtout, pour Faulkner, supports privilégiés d'un jeu de valeurs et, dans le mélange des sangs, d'un certain héroïsme tragique) ; et, peut-être, la civilisation américaine qu'il a vue naître et triompher du fond de sa retraite, en pays vaincu, donc en pays d'expérience.
Ce ne sont pas là ses thèmes ; manifestement, ceux-ci croissent aux intersections de trois ou quatre ensembles (rares sont les œuvres « pures » de toute intersection : sauf Pylône, peut-être, et, souvent, les nouvelles). À l'intersection des thèmes du Sud et des Noirs, par exemple, naît la trilogie sur la question des races (Lumière d'août ; Absalon ! Absalon ! ; Descends, Moïse) que l'Intrus prolonge : le seul corpus littéraire qu'un Américain (blanc ou noir) ait consacré au problème. À l'intersection de la guerre et du Sud naît d'abord Sartoris, puis nombre de nouvelles et enfin, différemment, cette étrange fleur à Faulkner exotique et dont personne sinon peut-être le Suisse Heinrich Straumann n'a encore saisi la portée, Parabole. À l'intersection du Sud et de l'American way of life naît une autre fleur, du mal, celle-là, Sanctuaire (dont la première version a immédiatement suivi Le Bruit et la fureur), mais aussi la monumentale trilogie des Snopes. A-t-on assez remarqué qu'il est des œuvres où n'interviennent point les Noirs, et d'autres sans sexualité ? Mais il n'en est pas sans nature : la Terre, peuplée ou non des femmes qui en sont comme l'émanation, est la grande constante des romans de Faulkner, dont l'exil dans son propre « arrière-pays » fut bien un enracinement, et dont la vision du monde et de l'homme reste celle d'un terrien.
Le plus important, dans la lecture de Faulkner, est d'admettre que tout lui a été prétexte à « décollage » et à fabulation romanesque : le Sud autant que les Noirs, l'histoire du Christ autant que la vision puritaine de l'éternel féminin. On le voit incorporer son discours imaginaire dans un fait divers (Sanctuaire), dans des sujets policiers (Le Gambit du cavalier), dans l'aura que fait la légende à un pionnier (Absalon ! Absalon !), ou même, audacieusement, dans l'histoire du Christ (Parabole). Ou bien il invente sa propre matière, laquelle, jointe au discours sur le moi et le monde, l'innocence et l'expérience, produit ses plus beaux mythes : la pastorale du Hameau, l'opéra Descends, Moïse, la grande fresque des Snopes.
Cependant, Faulkner, en symboliste formé à l'école anglo-saxonne (et par la Bible), rend signifiants les supports de son discours ; l'amour et la guerre signifient toute expérience ; les Noirs, toute endurance : ils incarnent, tirée de l'injustice, la valeur enclose dans la dignité arrachée au quotidien, si bien qu'ils deviennent les paradigmes héroïques de l'éthique de l'effort ; le Sud, le Sud même, est seulement la terre privilégiée parmi toutes les terres humaines, sur laquelle Faulkner, de ses quelque douze cents personnages, a construit son anthropologie romanesque, à laquelle Les Larrons disent un très privé mais foisonnant adieu.
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Écrit par
- Michel GRESSET : agrégé, docteur ès lettres, professeur de littérature américaine à l'Institut d'anglais Charles-V de l'université de Paris-VII
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