FAULKNER WILLIAM (1897-1962)
L'œuvre parabole
« Mon ambition, écrit-il en 1949 à Cowley, est d'être aboli, de disparaître de l'histoire en tant qu'individu ; de la laisser intacte, sans restes sinon les livres imprimés ; il y a trente ans, j'aurais dû être assez clairvoyant pour ne pas les signer, comme le firent certains élisabéthains. Mon but, et tous mes efforts y concourent, est que la somme et l'histoire de ma vie figurent dans la même phrase qui sera tout à la fois mon acte de décès et mon épitaphe : il a fait des livres et il est mort. » Cette farouche volonté de disparaître au seul profit de l'œuvre dépasse le cadre d'une résistance, au demeurant têtue, à tout viol de la vie privée. Elle s'inscrit au terme d'une véritable recréation de soi, qui fut le moyen de la création romanesque et, peut-être, la raison de vivre.
Mais se recréer, c'est aussi créer un univers. « La langue de Faulkner, pense Jean-Jacques Mayoux, est la clé d'un monde. » Pour Faulkner, l'écriture est un acte total, une tentative irrationnelle en ce qu'elle vise ni plus ni moins à exister, au même titre qu'un organisme. La phrase (qu'on relise la première d'Absalon), aussi vivante et autonome qu'une substance, tire sa dynamique de « l'inaltérable détermination de n'être jamais, jamais tout à fait satisfait de ce qu'on écrit » – c'est-à-dire de l'effort.
Et de fait : les trois sommets de l'œuvre, qui est elle-même la parabole de ce qu'elle annonce, Le Bruit et la fureur (1929), Absalon ! Absalon ! (1936), et Descends, Moïse (1942) se présentent, en manuscrits, sous une forme extraordinairement travaillée, plusieurs fois réagencés dans leur structure et remaniés dans l'écriture. C'est ce Faulkner-là qu'on commence à peine à connaître. C'est celui qui, fort de son œuvre et s'adressant à ses successeurs (et non à l'humanité entière, en porte-parole mandaté de l'humanisme occidental), a pu se permettre, à Stockholm, de dire : « Je refuse d'accepter la fin de l'homme. » Parce que, pour lui, tout rempart contre l'oubli témoigne pour l'homme, il n'est pas de plus haute mission pour l'écrivain que de faire de l'œuvre littéraire la mémoire de l'humanité.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel GRESSET : agrégé, docteur ès lettres, professeur de littérature américaine à l'Institut d'anglais Charles-V de l'université de Paris-VII
Classification
Média
Autres références
-
FAULKNER (W.) - (repères chronologiques)
- Écrit par Jean-François PÉPIN
- 490 mots
25 septembre 1897 Naissance de William Cuthbert Falkner à New-Albany, Mississippi.
1914-1918 Première Guerre mondiale.
1918 Après avoir tenté de s'engager dans l'aviation et essuyé un premier refus, tente une seconde fois sa chance. Pour cela, il modifie l'orthographe de son nom et devient « Faulkner...
-
TANDIS QUE J'AGONISE, William Faulkner - Fiche de lecture
- Écrit par André BLEIKASTEN
- 936 mots
William Faulkner (1897-1962) commença Tandis que j'agonise en octobre 1929, alors que Le Bruit et la fureur venait juste de paraître. Lorsqu'on l'interrogeait sur ce roman, il répondait invariablement que c'était un « tour de force » et prétendait l'avoir écrit en six semaines, sans la moindre...
-
LE BRUIT ET LA FUREUR, William Faulkner - Fiche de lecture
- Écrit par Aurélie GUILLAIN
- 972 mots
Comme Sartoris (1929), Le Bruit et la fureur (1929) se déroule à Jefferson, chef-lieu du Yoknapatawpha County, le comté imaginaire du Mississippi où William Faulkner (1897-1962) a situé l'action de la plupart de ses romans. Après les Sartoris, il met en scène les Compson, une de ces familles d'anciens...
-
CRÉATION LITTÉRAIRE
- Écrit par Gilbert DURAND
- 11 578 mots
- 3 médias
...Zola, de Proust, mais aussi de Chrétien de Troyes, d'Honoré d'Urfé, de Du Bellay, de Dante, de Virgile ou d'Homère... – est celui de la géographie faulknérienne. On voit l'œuvre de Faulkner prendre forme peu à peu à partir d'un simple décor – dans La Paie des soldats (1926), par... -
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Marc CHÉNETIER , Rachel ERTEL , Yves-Charles GRANDJEAT , Jean-Pierre MARTIN , Pierre-Yves PÉTILLON , Bernard POLI , Claudine RAYNAUD et Jacques ROUBAUD
- 40 118 mots
- 25 médias
La présence de Faulkner constitua pour les autres écrivains un problème que Flannery O'Connor devait un jour résumer avec son humour habituel : « Personne n'a envie de s'aventurer avec son petit chariot couvert et sa pauvre mule sur la voie ferrée où le Dixie Limited déboule à grand fracas. » C'est moins... -
GRESSET MICHEL (1936-2005)
- Écrit par André BLEIKASTEN
- 643 mots
Comme le grand traducteur Maurice-Edgar Coindreau, Michel Gresset fut un infatigable passeur de la littérature nord-américaine du xxe siècle. Né à Versailles le 18 novembre 1936, reçu premier à l'agrégation d'anglais en 1959, il est d'abord tenté par un poste de traducteur à l'O.N.U., mais finit par...