GASS WILLIAM (1924-2017)
William Gass fut le dernier de ces auteurs qu'on appelle parfois les « modernistes » – l'héritier de T. S. Eliot, de W. B. Yeats, James Joyce, Wallace Stevens, Gertrude Stein, mais aussi de Paul Valéry et de Rainer Maria Rilke. Et de celui qui a été le philosophe par excellence de ce moment de culture, Ludwig Wittgenstein.
La conscience solitaire
Né le 30 juillet 1924 à Fargo (Dakota du Nord), William Gass a grandi dans une petite ville de l'Ohio, où son père enseignait le dessin industriel. Ce fut une enfance sans joie – marquée par la Dépression des années 1930, le Dust Bowl, la « grande tempête de poussière sèche qui dévastait les grandes plaines », mais aussi une ambiance familiale étouffante jusqu'à l'asphyxie : une mère alcoolique qui finit ses jours dans un asile d'aliénés, un père paralysé par l'arthrite, deux époux se déchirant mutuellement parce que « la haine » était « la seule émotion intime qui leur restât ». Enfant solitaire, le jeune William trouve refuge dans la lecture, s'évade dans le monde qui se niche à l'intérieur des mots. Plus tard, les titres de ses essais feront écho à cette obsession : The Word within the World (1978), Habitations of the Word (1985).
Après la guerre, pendant laquelle il combat dans la marine, William Gass reprend à partir de 1947 des études de philosophie, à Cornell, avec une thèse sur le langage. Il enseignera ensuite toute sa vie la philosophie analytique, dans l'Indiana (Purdue) puis à l'université Washington de Saint Louis (Missouri). En 1951, il écrit le premier texte de ce qui deviendra finalement, en 1968, en pleine saison de la « métafiction », le recueil In the Heart of the Heart of the Country (Au cœur du cœur du pays, trad. franç., 1973). Ce sont de longs monologues où une conscience solitaire, et quasi jamesienne, observe, voire épie le monde qui palpite au dehors, comme de l'autre coté de la vitre, et essaie d'établir un contact vivant avec lui, à travers une écriture tout à la fois minimale – aussi désolée que le paysage du Middle West (le « cœur du pays ») – et d'une somptuosité baroque qui, du fond de la tristesse, la fait « chanter, et chanter encore plus fort ».
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
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