Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GOYEN WILLIAM (1915-1983)

William Goyen ne vécut que sept ans dans la petite ville de Trinity (à l'est du Texas) où il est né. Mais cette période de la petite enfance devait le hanter et marquer son œuvre jusqu'à sa mort. Cette bourgade était située aux confins d'une immense forêt. Goyen accompagnait parfois son père, qui travaillait pour le compte d'une scierie, dans cet univers merveilleux et terrifiant. Non loin de là coulait la Trinity River. D'une façon ou d'une autre, l'écrivain introduira cette forêt magique et cette rivière dans la plupart de ses œuvres. L'autre paysage déterminant de l'enfance est l'environnement linguistique. Goyen s'emploiera souvent à retranscrire avec le plus grand soin le langage vernaculaire de cette région, comme on le voit dans la nouvelle « Pore Perrie » (in Le Fantôme et la chair, 1952). Vécu comme une déchirure, l'arrachement à cette contrée des origines nourrira l'inspiration de l'écrivain, de son premier roman (La Maison d'haleine, 1950) à son dernier (Arcadio, 1983), en passant par En un pays lointain (1955) ou Zamour (1960).

La Maison d'haleine valut d'emblée à Goyen le respect de ses pairs. Autobiographie au scalpel de lui-même et des siens, ce livre à la structure complexe s'écoule en de véritables cantiques, qui charrient un contenu parfois explicitement sexuel. On a finalement l'impression que les personnages du roman, qui parlent tour à tour, ne sont que les diverses facettes d'un seul être éclaté à la personnalité diffuse, le narrateur Boy Ganchion. Le « Je est un autre » de Rimbaud apparaît en exergue de La Maison d'haleine, posant une question — « qui suis-je vraiment ? » — à laquelle tous les ouvrages de l'écrivain tenteront de répondre. Si la prose de La Maison d'haleine est poétique, elle n'en voile pas pour autant les vérités les plus crues et les secrets qui dérangent. Goyen a été parmi les premiers romanciers américains à aborder sans ambages le thème de l'homosexualité.

Dans La Maison d'haleine se pose déjà, par le truchement du personnage de Christy, ange déchu, la question lancinante du salut. La plupart des personnages de Goyen semblent dans l'attente d'un sauveur qui redresserait ce monde tordu, qui jetterait enfin des ponts entre les êtres et laverait de toutes les misères. Goyen était tellement obsédé par la figure du Christ qu'il lui a consacré un livre (A Book of Jesus, 1973), dans lequel il s'en tient fidèlement à la « chronologie » de saint Marc. Au fil des années, Goyen s'est peu à peu dépouillé de vêtements littéraires parfois encombrants pour faire entendre une parole plus nue, concise et crue. Cette dernière manière est manifeste dans la violente candeur d'Arcadio comme dans les nouvelles écrites aux derniers temps de sa vie (Precious Door, 1984). Goyen est mort un mois avant la parution d'Arcadio, couronnement de son œuvre. À moitié mexicain et à moitié texan, à moitié homme et à moitié femme, Arcadio est de retour au pays natal après avoir parcouru les États-Unis à la recherche de ses parents. Ses aventures hautes en couleur l'ont conduit dans un bordel puis dans un cirque minable où le patron l'exhibait comme une curiosité de la nature. Les péripéties de cette histoire, dans laquelle tout le monde poursuit tout le monde, sont autant de commentaires sur la fatalité du désir et sur le démon du malheur qu'Arcadio parvient à exorciser en se dépouillant de son enveloppe charnelle et en consacrant le temps qu'il lui reste à vivre à la recherche de Dieu.

— Patrice REPUSSEAU

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par , , , , , , et
    • 40 118 mots
    • 25 médias
    ...toute sa poignante et salutaire violence. Faut-il compter au titre du Sud des écrivains qui se situent en réalité aux marges de cette région historique ? William Goyen, par exemple, l'auteur de La Maison d'haleine (1951), psalmodie de l'éveil sexuel d'un adolescent dans une petite ville du ...