THACKERAY WILLIAM MAKEPEACE (1811-1863)
Après avoir connu des débuts littéraires difficiles, Thackeray a réussi à conquérir de son vivant, entre 1848 et 1863, la plus flatteuse des célébrités et à partager après sa mort la gloire de Dickens et de George Eliot. Il avait brillé dans plus d'un genre, s'affirmant à la fois dans la critique des lettres et des arts, l'histoire, la satire sociale, la poésie burlesque, la caricature et bien entendu le roman de mœurs, où il excella. Avec le recul du temps, toutefois, il apparaît clairement que c'est en qualité de psychologue, de moraliste et de dialecticien des plus subtiles nuances de la vanité humaine qu'il s'est acquis des titres à inscrire son nom parmi les plus grands. En dépit de sa prédilection pour les demi-teintes, de ses timidités devant le scandale, de ses réticences puritaines et de son absence à peu près totale d'engagement militant, il a eu assez de vigueur pour imposer internationalement un vocable et une notion – « snob » et « snobisme » – qui n'auraient point aujourd'hui droit de cité dans notre langage et dans nos concepts sans la force créatrice de son génie.
Une âme partagée
William Makepeace Thackeray est né dans un faubourg de Calcutta. Il appartient à une famille de fonctionnaires britanniques qui ont mis leur activité au service de la Compagnie des Indes orientales. Alors qu'il a quatre ans, son père meurt et sa mère, qui descend elle-même d'une lignée de hauts dignitaires anglo-indiens, l'envoie dans sa famille en Angleterre, car il supporte mal la rigueur du climat indien. En 1821 il entre à l'École de Charterhouse, puis en 1829 va à Cambridge où, étudiant dilettante, il ne reste qu'un an. Il visite l'Allemagne avant d'entreprendre, sans grande application, son droit à Londres et de venir s'installer, à sa majorité, à Paris, où il s'intéresse vivement à la peinture. Thackeray, jusque-là, a mené l'existence classique d'un jeune Anglais de condition aisée, mais survient la faillite d'une banque indienne où était déposée la majeure partie de ses biens. Ruiné, il doit gagner sa vie.
Il se trouve que le second mari de sa mère a de l'influence dans le monde de la presse, ce qui permet à son beau-fils de devenir le correspondant parisien de deux journaux anglais qui, malheureusement, vont faire faillite l'un après l'autre. La disparition du second en 1837 oblige Thackeray à regagner Londres avec sa jeune femme, épousée l'année précédente. Ce sera le commencement de sa collaboration, sous de multiples pseudonymes, à divers magazines dont Fraser's, Bentley's, The New Monthly et bientôt Punch où il fera paraître de février 1846 à février 1847 la série des feuilletons hebdomadaires « The Snobs of England, by One of Themselves » (Les Snobs d'Angleterre, par l'un d'entre eux) qui lui assureront une renommée que viendra décisivement asseoir le triomphe, en 1848, de Vanity Fair (La Foire aux vanités).
Ce sera la période où Thackeray s'efforce de lutter contre le désespoir qui peu à peu s'est emparé de lui. Sa femme, qui avait, dès après la naissance de ses trois filles, donné des signes de désordre mental, a dû être enfermée définitivement dans un asile. Thackeray, depuis 1845, est seul. Il est réduit aux réceptions mondaines et aux clubs. L'amour chimériquement compensateur qu'il a conçu pour l'épouse d'un de ses anciens condisciples lui restera interdit. Sur cette phase cruciale de la frustration de l'écrivain, les travaux du professeur américain Gordon N. Ray, lequel a eu accès aux carnets intimes de Thackeray, ont jeté un jour singulièrement révélateur.
Les grandes œuvres de Thackeray, qui s'échelonnent à un rythme soutenu jusqu'à sa mort survenue à Londres à la suite d'une hémorragie cérébrale, comprennent notamment[...]
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Écrit par
- Raymond LAS VERGNAS : professeur honoraire à l'université de Paris-III
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Médias
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