DOUGLAS WILLIAM ORVILLE (1898-1980)
Fils d'un pasteur presbytérien itinérant qui prêchait dans les petites communautés de l'Ouest américain, que l'on appelait encore la Frontière, William Douglas a une enfance d'autant plus pauvre que son père meurt lorsqu'il a six ans. Sa mère s'établit dans l'État de Washington pour lequel il gardera toujours un amour vivace ; moqué pour sa petite taille (il a eu une légère attaque de poliomyélite) et ses goûts intellectuels, il parcourt la montagne et devient alors un fervent de la nature : il est et restera un écologiste avant l'heure. Pour payer ses études dans une médiocre université locale, il travaille comme ouvrier agricole. Peu attiré par l'enseignement, il devient quelque temps marginal et, au contact des Chicanos (immigrants mexicains), des migrants et des syndicalistes de gauche, s'intéresse de plus en plus au droit.
À peu près sans le sou, un peu vagabond, il parvient en 1922 à New York, où il s'inscrit à la faculté de droit de l'université Columbia. Il en sort diplômé en 1925 et travaille pour un cabinet d'avocats de Wall Street. Il s'y ennuie mais prend goût au droit commercial et fiscal : il entre comme professeur de droit à Yale. C'est alors une des périodes les plus fécondes et les plus satisfaisantes de sa longue existence. Dans une atmosphère intellectuelle brillante, il développe la philosophie du droit qui réglera sa conduite lorsqu'il accédera à la Cour suprême. Avec ses collègues, il estime notamment que l'interprétation de la Constitution doit devenir plus « sociale » : ce n'est pas l'exécutif ou le législatif qui peuvent réformer les processus et amener le changement, mais bien le judiciaire, devenu clé de voûte du système institutionnel.
En 1934, il entre à la Securities and Exchange Commission (alors dirigée par Joseph Kennedy, père du futur président) qui a été créée à la suite de la crise de 1929 pour contrôler la Bourse de Wall Street. Devenu ami et conseiller intime de Franklin Roosevelt, il est nommé, en 1939, juge à la Cour suprême.
Il y restera pendant trente-six ans, le plus long « règne » d'un juge : il servira sous sept présidents, cinq présidents de la Cour et connaîtra vingt-huit juges à la Cour suprême.
Il acquiert rapidement la réputation d'un bourreau de travail à l'esprit à la fois incisif et pragmatique. Ses idées sont par trop originales et progressistes, non point pour l'époque mais pour une cour si conservatrice que le président Roosevelt, exaspéré par ses tentatives permanentes pour étrangler le New Deal, avait essayé (sans jamais réussir à obtenir l'assentiment du Congrès) d'en modifier la tendance politique en augmentant le nombre de ses juges. Ce que le président n'avait pu faire, le temps le réalisera : les juges meurent, remplacés par des hommes plus proches des idées rooseveltiennes. À partir de 1953, sous la présidence d'Earl Warren, William Douglas, en accord idéologique avec la majorité de la Cour suprême, peut donner toute sa mesure et exercer son influence ; beaucoup de ses idées sont alors mises en œuvre. La Cour, en effet, prend une série de décisions progressistes qui vont profondément modifier le paysage politique des États-Unis en matière d'intégration (Brown contre Board of Education of Topeka en 1954), d'égalité politique (Baker contre Carr en 1962) et de justice (Miranda contre Arizona en 1966).
Mais l'arrivée au pouvoir de Richard Nixon va renverser la tendance ; peu à peu, la Cour suprême retrouve une majorité plus conservatrice et les grands progrès accomplis par la Cour Warren sont partiellement remis en cause.
L'attachement viscéral du juge Douglas aux libertés, en particulier à la liberté d'expression, et son opposition à la guerre du Vietnam lui valent alors une recrudescence[...]
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Écrit par
- Marie-France TOINET : directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales de la Fondation nationale des sciences politiques
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