WEGMAN WILLIAM (1943- )
William Wegman, artiste américain qualifié de conceptuel, a émergé dans les années 1970 en photographiant, peignant, dessinant et filmant son chien nommé Man Ray, un braque de Weimar. Ses modèles seront tous des chiens de même race dont les noms méritent de passer à la postérité – Fay Ray à partir de 1986, et sa descendance : Battina, Chips, Bobbin, Candy, Crooky et Chundo. Trublion de l'art, obsessionnel et excentrique, William Wegman a insufflé un humour décalé sur les cimaises des musées du monde entier. Son œuvre invite à une réflexion sur nos rites sociaux et les fondements de l'art avec une apparente légèreté : une touche de cérébralité servie avec une louche d'absurdité.
William Wegman est né en 1943 à Holyoke dans le Massachusetts. Peintre de formation, il commence à enseigner en 1968 dans des universités du Wisconsin puis de Californie. En 1969, il participe à l'exposition mythique de Harald SzeemannWhen attitudes become form (« Quand les attitudes deviennent forme ») inaugurée à Berne, en Suisse, avant de circuler en Europe. C'est en Californie du Sud que des artistes déviants s'opposent à l'art dominant new-yorkais, exprimé notamment dans l'art minimal, le pop art ou un certain art conceptuel qui propose des postures théoriques. C'est dire que sa démarche originale s'inscrit dans un contexte historique qui donne la primeur à l'expérience, au relationnel et au constat d'actions.
Sa stature d'amuseur public – qui prétend accéder au sublime en observant des tranches de salami (Cotto, 1970) – lui permet de dynamiter de l'intérieur le monde de l'art dont il critique la prétention. Il veut incarner l'artiste moderne, décomplexé, ironique, conscient de son époque et résolument populaire. Très référentielle et parodique, l'œuvre de Wegman revisite les courants artistiques de l'histoire de l'art. North, 2001, directement inspiré de Caspar David Friedrich, dépeint le chien Man Ray, de dos, contemplant l'immensité d'un lac sous un ciel ténébreux. De cet anthropomorphisme criant naît un comique de situation.
Au fil du temps, le travail de William Wegman devient de plus en plus sophistiqué. Les vidéos en noir et blanc mal réalisées et les images techniquement pauvres ont fait place à une mise en scène au cordeau, à des décors savamment agencés, des costumes brillamment stylisés, ainsi qu'à une écriture de scénario très subtile. Peintre, dessinateur, vidéaste, Wegman utilise également, à partir de 1986, une chambre Polaroid 50 cm × 60 cm. S'il s'autorise toutes les frasques possibles dans ses mises en scène, il devient un artisan consciencieux, presque académique qui veut jouer sur tous les tableaux. Ainsi, le « Wegman's world » – comme il l'appelle lui-même – déborde rapidement l'espace des musées et des galeries. Il comprend des illustrations, des posters, des livres pour enfants, des DVD et des programmes télévisés. À chaque fois, Wegman entend faire tomber les barrières sociales et idéologiques.
Quand il publie une parodie de Cendrillon ou du Petit Chaperon rouge, Wegman rend hommage aux contes traditionnels en y appliquant sa propre logique. Nous sommes dans un monde où les chiens jouent le rôle des humains. Semblable à nous-mêmes, la petite famille de Fay Ray se perd dans des tâches quotidiennes stéréotypées. Wegman fait la critique en règle de l'american way of life. Son arme est le rire, un rire salvateur et grave.
Car si le chien est le meilleur ami de l'homme, William Wegman nous rappelle que l'homme est aussi un animal social. Aliéné de l'intérieur, il ne peut compter que sur l'autodérision pour s'en sortir.
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Écrit par
- Noël BOURCIER : graphiste, photographe, enseignant en histoire de la photographie, diplômé de l'École nationale de la photographie (Arles)
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