WORDSWORTH WILLIAM (1770-1850)
Dans la perspective de deux siècles, le génie de Wordsworth a surmonté hostilité et dérision et atteint, par-delà sa période « militante » (1820-1830), pour citer De Quincey, la consécration « triomphante », qui le place aux côtés de Shakespeare et de Milton. S'il lui a manqué l'auréole du poète romantique mort jeune, ce qui lui eût épargné un déclin trop exploité contre lui, il a eu le temps de « se construire », de réaliser un idéal de « vie simple et [de] pensée élevée », conciliant des ardeurs violentes et un sens intransigeant des valeurs intellectuelles, en une personnalité qui sacrifiait toujours l'attrait à la grandeur morale et se glorifiait de ce que John Keats a si bien dénommé « égotisme sublime ». Quand il se définit, se sacre, en quelque sorte, a dedicated Spirit, il faut accepter cette déclaration comme la conscience d'une mission spirituelle.
Un poète enraciné
« Il y avait un dandinement, une nonchalance dans sa démarche [...] ses tempes étaient marquées par une tension austère et lassée de la pensée, et ses yeux par une flamme (comme s'il voyait dans les objets quelque chose de plus que leur apparence extérieure) ; il avait un front haut, tendu et étroit, un nez aquilin, des joues creusées par la force de la volonté et des sensations... » C'est ainsi que le critique Hazlitt voyait le poète William Wordsworth à vingt-huit ans. De tous les poètes anglais, Wordsworth est le plus terrien, le plus enraciné. Né à Cockermouth, en bordure du pays des Lacs, il reçut une formation très libre à l'école rurale de Hawkstead, en communion avec la nature, sa véritable éducatrice en qui il transféra l'affection dont le priva, à sept ans, la mort de sa mère, cause de la dispersion de la famille : ses trois frères et sa sœur Dorothy. Quatre ans après la mort soudaine de son père (1783), il entra, avec l'aide d'un oncle, à l'université de Cambridge, indifférent aux études routinières et réservant son ardeur aux deux voyages qu'il fit en France (1790 ; 1791-1792). Le second souleva son enthousiasme pour la Révolution, pour le parti girondin, avec le capitaine Michel Beaupuy comme mentor, et enflamma ses sens ; sa passion pour Annette Vallon et la naissance de leur fille Caroline en décembre 1792 constituent un événement sur lequel continuent d'achopper les critiques. Le chaos politique et les difficultés financières suffisent à expliquer une séparation forcée de neuf années, dont la cause première fut la déclaration de guerre, en février 1793, de l'Angleterre à la France. Cette liaison, qui ne fut un mystère ni pour ses proches ni pour ses intimes, fut dénouée par le temps. Quand la paix d'Amiens (1802) lui permit de revoir la mère et l'enfant – qui portait son nom –, toute passion était éteinte, muée en remords, non pas en désespoir. Annette se maria et William trouva en une amie d'enfance, Mary Hutchinson, une compagne dénuée d'attraits, mais qui fut une mère tendre pour leurs cinq enfants et aussi une secrétaire et une confidente aussi dévouée que Dorothy, en qui certains s'obstinent à voir une rivale jalouse parce qu'incestueuse. La Terreur, en lui révélant « ce que l'homme a fait de l'homme », atteignit Wordsworth au plus profond de sa foi révolutionnaire, en pleine crise intellectuelle. C'est sa sœur qui le guérit des abstractions rationalistes de Godwin en l'aidant à redécouvrir les joies simples mais intenses de la nature (« elle m'a donné des oreilles et des yeux », dira-t-il) et les eaux vives de la poésie régénératrice. À cette re-naissance, Coleridge apporta son amitié et une admiration d'autant plus désintéressée qu'elle est le don d'un grand poète manqué. Deux ans avant leur rencontre (1795), Coleridge avait apprécié The Evening[...]
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Écrit par
- Louis BONNEROT : professeur honoraire à la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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