WENDERS WIM (1945- )
Une poétique de l'espace
Peu d'œuvres ont incarné comme celle de Wenders l'esprit et la sensibilité de la génération qui atteint la maturité dans les années 1970. En ce sens, il peut être défini essentiellement comme un cinéaste « contemporain ». Ses personnages, surtout jusqu'à Paris, Texas, ont sensiblement son âge et vivent en un temps et des lieux où il se situe lui-même de plain-pied. Contemporain aussi parce que Wenders part strictement de sa situation dans le temps (l'après-guerre) et l'espace (l'Allemagne divisée, puis réunifiée). Son premier court-métrage, perdu, s'intitulait Schauplätze. Le mot « Schauplatz » ne peut se rapprocher, en français, que de celui de « théâtre », dans l'expression « théâtre des opérations ». Un espace que l'on observe parce qu'il va se passer ou pour que se passe quelque chose : une histoire, un spectacle... Mais, d'histoire, l'Allemagne n'en a plus : cette génération hérite d'une culpabilité, d'une culture qui doit « sauter par-dessus une partie du passé ». Quant au spectacle, les jeunes cinéastes allemands n'ont pas de père : leur tradition cinématographique a été confisquée par le nazisme. Plus qu'aucun autre, Wenders affronte la nécessité de se construire une identité au moyen de la culture étrangère qui règne sur l'Allemagne d'après guerre : la culture américaine, celle de la musique rock, du Polaroïd, du cinéma. S'il en connaît le caractère illusoire et mortifère, le cinéma américain – le western en particulier – lui révèle pourtant un univers d'avant la déchirure, où le héros fait corps avec le paysage. Les personnages de ses premiers films sont marqués par cette contradiction : « Mes héros étaient des héros de western qui vivaient maintenant dans des villes où rien ne se passait. »
Le cinéma de Wenders prend naissance dans cette conjonction de l'espace, du cinéma, de la quête d'identité et d'histoire. Qu'un personnage se mette en marche sous le regard d'une caméra suffit pour qu'il se situe déjà dans un lieu et engendre un semblant de fiction. Dans la pure tradition de la nouvelle vague française et de l'enseignement d'André Bazin, la caméra est là pour enregistrer le surgissement de la vie qui peut être simplement la naissance d'une histoire dont elle ne sait rien a priori, pas même si elle existe. Cette caméra ne peut filmer que des êtres eux-mêmes en situation d'instabilité extrême. Sans cesse, ils se heurtent à une frontière mentale (le hiatus entre leur conscience et le monde) comme physique (la frontière de la R.D.A., dans Au fil du temps). Tel est le constat d'échec de Wilhelm, dans Faux Mouvement, au sommet du Zugspitze (frontière de l'Autriche) : « J'attendais un événement comme on attend un miracle. »
Le cinéma de Wenders met en œuvre toutes les formes de médiation destinées à abolir cette frontière, à retrouver son identité et sa place parmi les choses qui cesseraient d'être indifférentes. De la marche à l'avion, en passant par la bicyclette, la moto, l'automobile, le camion, le mobile home, le bateau ou le train, les véhicules abondent, qui donnent naissance à une figure stylistique privilégiée : le travelling sur des paysages défilant derrière un pare-brise. Mais cette vitre ne fait que souligner la frontière qui sépare irrémédiablement le héros du monde. Plus qu'une fenêtre, elle fait écran. Ajouté au défilé continu du spectacle vers un horizon ardemment désiré sans jamais être atteint, celui-ci nous renvoie au cinéma. Les moyens de communication modernes que sont les médias sont tout aussi omniprésents : radios, juke-boxes, téléviseurs qui ne diffusent rien ou que personne ne regarde ni n’écoute. Les images Polaroïd ([...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
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