WINTER SLEEP (N. B. Ceylan)
Parmi les sensations prégnantes de Winter Sleep, figurent sans conteste le paysage hivernal de la Cappadoce et l'hôtel troglodyte, théâtre du huis clos conjugal écrit au scalpel par Nuri Bilge Ceylan et sa femme, Ebru. Au sentiment d'espace que la beauté plastique des horizons de pierres impose, se mêle ce que suggère la configuration de ces habitations : l’extrémité d'un monde, la réclusion. Le froid du dehors s'oppose aux couleurs intérieures, chaudes, mais, en même temps, fait écho à la glaciation qui conditionne la relation du couple. Les déplacements extérieurs, que les pièces lovées dans différents creux de la montagne imposent pour rejoindre tel bureau ou annexe isolée, expriment spatialement les vies parallèles que mènent cet homme à l'automne de sa vie et sa femme, bien plus jeune que lui.
Histoire d’un couple
Palme d'or du festival de Cannes 2014, Winter Sleep a été unanimement salué, à l’exception de quelques notes discordantes qui ont considéré le film comme bavard et théâtral, tandis que d'autres lui reprochaient d'afficher tous les signes du cinéma d'auteur, avec une image léchée, une trame et des dialogues trop explicites chargés de références tant littéraires que cinématographiques.
Ceylan nous avait, il est vrai, habitué à un cinéma plus laconique, dans lequel émotion et sens pouvaient simplement émaner d'un regard ou d'un rideau à peine soulevé par la brise. En même temps, de film en film, il n'eut de cesse de varier les sujets et les approches. Avec Winter Sleep, il fait la preuve qu'il peut inscrire sa trajectoire dans la lignée des classiques du cinéma. Il n'a jamais caché son admiration pour Ingmar Bergman et a confirmé que, pour ce projet, auquel il songeait depuis une quinzaine d'années, il avait puisé son inspiration dans trois nouvelles de Tchekhov. Certains ont notamment vu dans Ma femme l’ossature principale du récit. Amenée à organiser un groupe pour soutenir des paysans pauvres, une femme voit son mari, riche et plus âgé qu'elle, s'immiscer dans son action. Les ressemblances sont en effet patentes, mais on pourrait tout autant montrer comment Ceylan s'approprie l'histoire de ce couple usé par des années de mariage, et dont un événement va cristalliser la haine puis les retrouvailles. Chez Ceylan, on découvre qu’Aydin, l'homme qui tient cet hôtel retiré, a été autrefois acteur. Cela explique le nom du lieu, Othello, et les affiches de Caligula ou d'Antoine et Cléopâtre épinglées aux murs de son bureau. On imagine que sa femme, Nihal (Melisa Sözen), a pu alors tomber sous son charme.
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Écrit par
- Jacques KERMABON
: rédacteur en chef de la revue
Blink Blank
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