WINTERMÄRCHEN (P. Boesmans)
Créé le 10 décembre 1999 au Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles, Wintermärchen (Le Conte d'hiver), opéra en quatre actes du compositeur belge Philippe Boesmans (né en 1936), fut aussitôt donné, en janvier et février 2000, à l'Opéra national de Lyon ; à l'automne de cette même année, la revue L'Avant-Scène Opéra lui consacrait un numéro dans sa série dévolue au répertoire traditionnel ; en novembre, cette œuvre était reprise au Châtelet, à Paris, l'enregistrement de la création en était édité par la prestigieuse firme Deutsche Grammophon et Arte en programmait la diffusion télévisée le 29. Destin rarissime pour un opéra contemporain, à une époque où les œuvres nouvelles sont souvent jouées une seule fois avant de sombrer la plupart du temps dans l'oubli. Il est vrai que Boesmans n'en est pas à son coup d'essai : après La Passion de Gilles (La Monnaie, 18 octobre 1983), son opéra Reigen (La Monnaie, 2 mars 1993), d'après la pièce homonyme d'Arthur Schnitzler, avait lui aussi attiré l'attention du monde musical.
Le succès de Wintermärchen tient d'abord au travail d'équipe entre le compositeur et son librettiste attitré – qui en est aussi le metteur en scène –, Luc Bondy, assisté de Marie-Louise Bischofberger. Il tient ensuite au choix du texte, une pièce majeure du patrimoine théâtral européen dans la tradition bien allemande du Literaturoper (opéra « littéraire ») : familier du Conte d'hiver de Shakespeare, qu'il avait mis en scène au théâtre des Amandiers de Nanterre en 1988 et à la Schaubühne de Berlin en 1991, Bondy a su en condenser le message et se concentrer sur l'intériorité de personnages soumis à la folie de Leontes, roi de Sicile, dont la jalousie pathologique a des conséquences encore plus dévastatrices que celle d'Othello en dépit d'une fin apparemment réconciliatrice. Nostalgie et mélancolie y affleurent sans cesse, scandées par les commentaires d'un personnage ajouté, qui symbolise le passage du temps. Les situations et les caractères sont idéalement servis par la mise en musique, dont le dramatisme immédiat révèle le musicien de théâtre accompli.
Au sein de l'éclatement stylistique qui caractérise la musique actuelle, du sérialisme dodécaphonique au minimalisme répétitif, de la soupe néo-tonale à l'expérimentation d'avant-garde, Boesmans tient une place à part. Bien de son époque, il ne fait pourtant jamais table rase du passé et s'inscrit sans honte dans une tradition multiple : pour lui, l'opéra comporte une action et des personnages, l'orchestration possède une fonction narrative et expressive mais jamais au détriment de l'écriture vocale, conçue pour mettre en valeur l'intelligibilité du texte sans renoncer à la dimension émotionnelle du timbre et de la ligne de chant. Sans qu'il soit possible de parler explicitement de musique tonale, son atonalité s'éloigne rarement de la notion de polarité, si bien que l'auditeur le moins initié à la musique moderne n'a que peu de raisons d'y perdre pied. Berg est peut-être le modèle esthétique qui vient le plus spontanément à l'esprit quand on écoute la musique de Boesmans, mais comme toujours les références (Monteverdi, Wagner, Richard Strauss) abondent, sans qu'il soit pour autant pertinent de parler de citations ou de collages : les emprunts stylistiques sont parfaitement intégrés à une narration linéaire et concise, pleine de maîtrise dans l'alternance des tensions et des détentes, ce qui n'a pas empêché ses détracteurs (notamment dans la critique allemande) de taxer cette écriture de passéiste.
Dans les salles, une certaine réserve s'est manifestée quant à l'usage, au troisième acte, d'une musique de jazz-rock confiée au groupe belge Aka Moon, avec[...]
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Écrit par
- Christian MERLIN : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, maître de conférences à l'université de Lille-III-Charles-de-Gaulle, critique musical
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