ALLEN WOODY (1935- )
Le matériau autobiographique
Depuis Annie Hall (1977), l'autobiographie (par le biais, ici, du couple qu'il forme avec l'actrice Diane Keaton) devient un matériau privilégié de création : elle alimente l'œuvre en même temps que celle-ci réinvente Woody Allen, le personnage comme le cinéaste. C'est encore le cas d'une œuvre plus tardive, Maris et femmes (Husbands and Wives, 1992), où les personnages qu'il interprète avec Mia Farrow, filmés dans un style hésitant entre le reportage télévisuel et le reality show, sont en pleine crise conjugale. Au même moment, à la suite de la révélation de la relation amoureuse qu'entretient Woody Allen avec l'une des très jeunes filles adoptives de Mia Farrow, Soon-Yi, la séparation du réalisateur et de l’actrice accapare les médias.
La réflexion sur les rapports du spectacle et du cinéma avec la vie privée des personnages nourrit d'ailleurs une série de films, de Stardust Memories (1980) à Radio Days (1987) en passant par Broadway Danny Rose (1984) ou La Rose pourpre du Caire (Purple Rose of Cairo, 1985). Tout le monde dit I Love You (Every One Says I Love You, 1996) s'attaque même au genre de la comédie musicale. Mais le film le plus réussi dans ce domaine est sans aucun doute, sous des dehors de divertissement, le très dur Coups de feu sur Broadway (Bullets over Broadway, 1994), où le gangster devient la métaphore de l'artiste. C'est encore dans cette veine que se situe le curieux portrait d'un guitariste de jazz des années 1930, Emmet Ray (interprété par Sean Penn), grand rival de Django Reinhardt, dans Accords et désaccords (Swett and Lowdown, 1999). Emmet Ray n'a jamais existé, et le film désigne plaisamment la frontière fragile entre biographie et fiction, vérité et crédibilité cinématographique, tout en rendant hommage au jazz, pour lequel Allen éprouve une vraie passion.
En 1989, Crimes et délits (Crimes and Misdemeanors), à la structure romanesque très riche (lointainement inspirée de Dostoïevski), avait paru opérer la synthèse la plus harmonieuse de ces multiples directions. Bon an, mal an, le Woody Allen nouveau arrivait désormais. Attendu et parfois sans surprise, comme cet hommage un peu bâclé à la comédie américaine classique qu'est Maudite Aphrodite (Mighty Aphrodite, 1995), ou le divertissement qui renoue avec les comédies policières des débuts, Escrocs mais pas trop (Small Time Crooks, 2000). Cette production régulière n'empêche pas Woody Allen de livrer inopinément une de ses grandes œuvres avec Harry dans tous ses états (Deconstructing Harry, 1997), une comédie qui prend des allures de course folle en rassemblant les grands thèmes qui lui sont chers : relations avec les femmes, la famille, la culture juive, sans oublier les indispensables scènes de ménage. Le film rappelle que le burlesque de Woody Allen n'est en rien exclusivement verbal, avec une savoureuse scène de contagion nonsensique où se confondent technique et pathologie à propos d'un personnage dépressif devenu lui-même « flou », c'est-à-dire, selon l'expression anglaise intraduisible, out of focus.
« Je fais une overdose de moi », s'exclamait Harry, comme pour anticiper le double de Woody Allen, Lee Simon, interprété par Kenneth Branagh dans cette autre surprise qu'est Celebrity (1998). Lee conclura en effet : « Je suis submergé d'automépris », ce qui revient au même dans la dialectique du cinéaste. Remarquablement travaillé sur le plan formel, le film est loin d'être une critique complaisante de la célébrité par un cinéaste qui en bénéficie largement lui-même. Le narcissisme qui lui est si souvent reproché est ici retourné comme un gant : dans ce milieu de la télévision comme de l’édition, tout le monde (bellâtre, professeur, animatrice de talk-shows stupides, top model[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Médias
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