WOYZECK, Georg Büchner Fiche de lecture
Un nouveau type de drame
Büchner s'est inspiré de personnages et de faits réels. Le 2 juin 1821, Johann Christian Woyzeck avait assassiné à coups de couteau sa maîtresse, Johanna Christiania Woost, dans une rue de Leipzig. Le mobile était la jalousie. Rapidement interpellé près du lieu du crime, Woyzeck reconnaissait les faits, et après trois ans de procédure judiciaire, il était condamné à mort et exécuté le 27 août 1824. Mais Büchner ne s'en est pas tenu à la situation initiale, et le résumé de la pièce ne rend pas compte du foisonnement de situations et de personnages annexes : visions d'angoisse de Woyzeck, baraque de foire où un bonimenteur présente un « cheval astronomique », scène du professeur qui devant ses étudiants jette un chat du haut d'un toit, scènes d'auberge, chansons populaires, conte de la grand-mère, etc. S'ajoutent à cela les nombreuses allusions à la philosophie et à la médecine qui jalonnent le texte.
En faisant éclater la fable en une série de scènes qui semblent échapper à toute architecture contraignante, Büchner tourne le dos, comme personne à son époque, aux canons de la dramaturgie classique, ce qui fait de lui un des grands précurseurs de certaines formes du théâtre contemporain, qui privilégient la dramaturgie du fragment ou du montage. Il a par ailleurs inauguré un nouveau type de drame dont le « héros » n'est plus issu des hautes sphères (comme dans la tragédie), ou de la bourgeoisie (comme dans le drame du xviiie siècle), mais des couches les plus basses de la société. Büchner s'est conformé en cela au programme qu'il avait lui-même défini dans sa nouvelle Lenz (1835), où il réclame de l'auteur dramatique qu'il « s'enfonce dans la vie du plus humble des êtres » et « la restitue dans ses tressaillements, ses demi-mots, et tout le jeu subtil et imperceptible de sa mimique ».
Restée quasi ignorée au xixe siècle, la pièce est redécouverte au début du xxe, notamment par les expressionnistes. Le compositeur autrichien Alban Berg en tire un opéra, Wozzeck, créé le 14 décembre 1925 à la Staatsoper de Berlin. Woyzeck est devenu depuis lors un des textes les plus joués du répertoire européen. Antonin Artaud y voyait une des rares œuvres dramatiques véritablement nécessaires : « Rien actuellement parmi le théâtre existant, déjà écrit, ne me paraît plus urgent que de jouer cette pièce-là », confie-t-il à Louis Jouvet en 1931. Artaud était particulièrement sensible aux « sons douloureusement humains » du texte de Büchner, aux « échos comme des cris dans un souterrain ou en rêve ».
La première traduction française date de 1889 : la pièce y est présentée comme un « fragment de drame. » En 1931, Jean Paulhan la publie dans la revue Commerce. Une nouvelle traduction, de Marthe Robert, paraît dans le cadre du Théâtre complet aux éditions de l'Arche en 1953. Depuis lors, on dénombre plus d'une dizaine de traductions.
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Écrit par
- Jean-Louis BESSON : professeur au département des arts du spectacle à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, traducteur, dramaturge
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