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KIRSTEN WULF (1934-2022)

Le poète allemand Wulf Kirsten est né le 21 janvier 1934 à Klipphausen, près de Meissen (Saxe). Les titres de ses différents volumes révèlent, d'une façon quasi programmatique, la poétique de leur auteur : La Langue du tuilier, La Terre près de Meissen, Le Temps des violettes, Maison dans le champ, Changement de temps. Ils disent l'enracinement de cette poésie dans la terre de Saxe qui l'a vu naître. Mais il ne faudrait pas croire que l'œuvre de Wulf Kirsten appartient à la Heimatliteratur ou célèbre les charmes de la campagne. L'auteur le déclare lui-même, « mes textes n'ont rien de bucolique ». La terre de Saxe, la matière même de son écriture, est une contrée rude, rocailleuse et balayée par les vents aux confins de la Pologne et de la Bohème, un creuset de la culture allemande marquée par Bach et Luther où pendant des siècles se sont côtoyés et fécondés langues, dialectes et cultures centre-européens. L'écriture de Kirsten garde les traces de cette constellation particulière.

« Mon père était tailleur de pierre, mon grand-père menuisier, des métiers où la précision est requise au millimètre près. Artisan du verbe, j'ai essayé de conserver la même précision », écrit le poète dans le récit autobiographique Die PrinzesinnenimKrautgarten (2000, Les Princesses au jardin potager, 2012). Lambeaux de mémoire, souvenirs, observations forment autant de tableaux du village et de la campagne de son enfance, mais aussi d'autres lieux de vie. Plusieurs éléments viennent perturber ces scènes idylliques : la solitude et la marginalité de l'enfant qui préfère la lecture au sport ou aux jeux violents, mais surtout la violence du contexte politique. Par petites touches, Wulf Kirsten livre une chronique qui, sans systématisme, évoque les premiers revers de l'armée allemande – dont on parle à voix basse en famille – puis les premiers afflux de réfugiés qui fuient devant l'avancée de l'Armée rouge, et enfin l'arrivée des troupes d'occupation. Wulf Kirsten, comme ses concitoyens saxons, préfère aux envolées lyriques ou élégiaques les mots simples et le ton sobre qui sont sa marque de fabrique.

« Nommer avec constance : les gens du village, /leur endurance, leur patience au travail, /avec des figures verbales dresser des monuments à une dynastie de cultivateurs/sans nom éclatant// dans le cours des mots se refléteront/ les flancs jaunes, semés d'avoine, /de ma terre promise, sa glèbe rude, crevassée, /sera la matière de mon chant » (Par où commencer, 1967). En nommant les choses, le poète les fait exister dans et par l'écriture. Pour parler de la création poétique, Kirsten emploie le terme umsetzen (changer, transposer), mettant ainsi en évidence le rôle du poète. Celui-ci est un passeur, un traducteur qui met en mots les choses, les situations, les émotions, les ambiances. Cette poésie du quotidien repose sur des visions fulgurantes du regard capable de voir l'invisible et de l'exprimer dans des métaphores saisissantes de densité. Grâce à la précision et à la magie du verbe, le lecteur sent les odeurs du terroir, s'enfonce dans la glèbe visqueuse des champs délavés par la pluie.

Comme ses aînés, les poètes Johannes Bobrowski (1917-1965) et Rainer Kunze, Kirsten entend redonner leurs lettres de noblesse aux « paysagistes » tant décriés après leur sacralisation par les nazis : « Le semeur sème la parole /dans les étendues nuageuses du soir, /et sa vérité /aussi loin que vont les nuages. /viens, oh viens, temps étoilé du messie ! le vent sème l'ivraie. » Il sait que les paysages et les hommes qui les peuplent conservent les stigmates de l'histoire et les blessures du temps. Ses poèmes les recueillent et rendent hommage aux anonymes qui ont vécu les années sombres du national-socialisme, l'effondrement et la partition de l'Allemagne, les[...]

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Écrit par

  • : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice

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