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XIA GUI[HIA KOUEI](actif vers 1190-1225)

L'écriture elliptique de Xia Gui

Xia Gui dramatise et simplifie encore cet héritage de Li Tang ; les « rides taillées à la hache » qu'aimait utiliser son prédécesseur, impétueusement grossies, forment la texture fondamentale de sa peinture et deviennent une écriture audacieuse et elliptique, d'une infaillible efficacité, qui constituera en quelque sorte la « marque de fabrique » du paysage des Song du Sud. Chez Xia Gui, la virtuosité technique est éblouissante ; sa peinture cherche à « accrocher l'œil » – le goût plus réservé des lettrés Yuan, Ming et Qing ne le lui pardonnera pas –, mais les moyens auxquels elle a recours sont du meilleur aloi, car ce métier impeccable est au service d'une émotion sincère et d'une profonde intuition de la nature.

La contribution originale de Xia Gui réside avant tout dans son génie de la simplification et de l'ellipse ; il réduit les éléments peints à un strict minimum, de manière à les charger d'un maximum d'intensité expressive ; son pinceau nerveux et économe répartit quelques rares signes, qui créent à travers la page blanche comme les pôles d'un invisible échange d'énergie ; l'espace s'investit ainsi de tensions actives, le vide acquiert une signification positive. Pour atteindre ce résultat, Xia Gui dispose d'une incomparable science de la composition, dont on trouve un des plus beaux exemples dans le célèbre rouleau horizontal Vue claire et lointaine d'un fleuve dans les montagnes (Musée du Palais, Taipei).

Le « rouleau horizontal », forme particulière de la peinture chinoise, pose les plus difficiles problèmes d'organisation de l'espace ; il est conçu non pour être exposé, mais pour être « lu » ; l'expression chinoise est particulièrement heureuse, car il s'agit vraiment d'un processus successif de lecture et non d'une saisie globale et simultanée de l'œuvre, l'amateur enroulant d'un côté la peinture au fur et à mesure qu'il la déroule de l'autre, en sorte qu'il n'en a jamais une vue totale, mais effectue en elle un voyage dans l'espace et le temps. Le caractère successif de cette lecture dote la peinture d'une dimension temporelle comparable au déroulement d'une composition musicale ; au peintre donc d'organiser le rythme et le tempo de son œuvre, de conduire le « lecteur » à travers une alternance contrastée de temps forts et de repos, depuis un mouvement d'ouverture jusqu'à une « finale ». Cette forme de peinture se prête de plus à une intervention active du spectateur : elle recèle un nombre illimité de compositions possibles ; au spectateur de sélectionner celles-ci en isolant à son gré des sections d'ampleur variable, qu'il découpe au fur et à mesure des étapes de sa lecture. À cet égard, la Vue claire et lointaine s'impose comme le rouleau horizontal par excellence, un des plus parfaits exemples du genre (avec le rouleau des Monts Fuchun de Huang Gongwang), réussissant à ménager une diversité innombrable dans une unicité dynamique.

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Écrit par

  • : reader, Department of Chinese, Australian National University

Classification

Autres références

  • CHINOISE CIVILISATION - Les arts

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    • 37 médias
    Sous les Song du Sud, à la fin du xiie et au début du xiiie siècle, deux grandes personnalités dominent l'art du paysage : Ma Yuan et Xia Gui. Ces artistes partent de la conception du paysage à la fois plus étroite et plus impressionniste qu'avait amorcée un Li Tang ; dans l'emploi des...
  • LI TANG (XIe-XIIe s.) ET MA YUAN (XIIe-XIIIe s.)

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