YĀQŪT (1179 env.-1229)
Encyclopédiste arabe, né en territoire byzantin et capturé alors qu'il n'était encore qu'un enfant, Yāqūt se retrouve à Bagdad, où son maître lui fait donner une solide éducation avant de l'envoyer faire du négoce pour son compte dans les pays riverains du golfe Persique et en Syrie. Affranchi en 1199, Yāqūt partage son temps entre l'érudition et les voyages. Peu après la mort de son protecteur, il visite les confins de l'Azerbaïdjan, la Syrie, l'Égypte, la haute Mésopotamie et enfin le Khurāsān où il s'attarde deux ans, lisant tout ce qu'il peut trouver et ébauchant l'idée d'une grande œuvre encyclopédique. Puis il repart pour les parages de la mer d'Aral, s'enfuit devant les Mongols de Gengis-khān et se réfugie à Mossoul, puis à Alep, regagne Mossoul, se rend en Égypte et de nouveau à Alep, où la mort le surprend, alors qu'il achève une révision de son encyclopédie géographique.
D'une œuvre considérable nous sont parvenus seulement un ouvrage sur les généalogies arabes, un autre sur les toponymes désignant des lieux différents sous une orthographe unique, et surtout deux dictionnaires qui ont assuré la renommée de Yāqūt, sur les lettres (Mu‘djam al-udabā', éd. D. S. Margoliouth, 6 vol., Leyde, 1907-1931 ; éd. Rifā‘ī, 20 vol., Le Caire, 1936-1938) et sur les pays (Mu‘djam al-buldān, éd. M. al-Khānidjī, 10 vol. et suppl., Le Caire, 1906-1907 ; F. Wüstenfeld, Jacut's geographisches Wörterbuch, 6 vol., Leipzig, 1866-1873, 2e éd., 1924 ; nouvelle éd., 20 vol. en 5 tomes, Beyrouth, 1955-1957 ; trad. anglaise partielle par W. Jwaideh, The Introductory Chapters of Yāqūt's Mu‘jam al-buldān, Leyde, 1959).
Au moment où écrit Yāqūt, le vent est et va être longtemps à l'encyclopédisme : celui de notre auteur, pour être impressionnant, n'est pas isolé, jusqu'en ses dimensions mêmes. Qu'on songe au monumental dictionnaire de la langue arabe, ce Lisān al-‘Arab, d'Ibn Manṣūr, mort en 1311, dont les vingt volumes constituent toujours un trésor inépuisable. Pourquoi cette passion de l'enregistrement ? Incontestablement, le désir de mettre un peu d'ordre dans une production considérable a joué, d'où le recours au procédé alphabétique, commode pour retrouver les hommes illustres de l'histoire ou les noms les plus importants de la géographie. Ce désir, toutefois, n'explique pas tout. Dans le choc causé à l'Islam d'expression arabe par l'irruption turque puis mongole, les héritiers de la civilisation d'expression arabe ont sans doute voulu, en les consignant, préserver pour les siècles futurs les témoignages d'une culture qui paraissait terriblement menacée.
L'érudition de Yāqūt est pour le moins prodigieuse : ses voyages furent prétexte à fouiller les bibliothèques et à dévorer les livres ; il exercera du reste, un temps, la profession de libraire. En matière de géographie, l'introduction du Mu‘djam al-buldān livre, au chapitre des sources, les noms de onze prédécesseurs. Mais le nombre des auteurs consultés au total, compte non tenu de la géographie stricte, va largement au-delà : treize pour la seule Arabie.
C'est qu'il s'agit ici de géographie totalisante au sens complet du terme. Yāqūt, finalement, est un peu l'Ibn al-Faqīh de son temps. Le cadre donné — ici un nom d'entité géographique : pays, ville, mer, fleuve, tribu, montagne — est prétexte à exposer l'ensemble des connaissances qui s'y rapportent. Aussi un abrégé du Mu‘djam al-buldān, qui se voulait plus strictement géographique, a vu le jour, dans la première moitié du xive siècle, sous le nom de Sources d'information pour les noms de lieux et de pays (Marāṣid al-iṭṭilā‘ ‘alä asmā' al-amkina wa l-biqā‘[...]
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Écrit par
- André MIQUEL : professeur au Collège de France
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