REZA YASMINA (1959- )
L’œuvre de l’écrivaine française Yasmina Reza se signale par une grande variété. Son insolent succès lance un défi aux observateurs de la vie théâtrale et littéraire. Fêtée sur les scènes du monde entier par un public très vaste – et donc tenue pour commerciale –, elle reste absente des plateaux de télévision, ne livre qu'avec mesure quelques propos réservés. Cette faiseuse de comédies, à l'habileté redoutable, censément boulevardière, séduit de grands metteurs en scène du théâtre d'art : Krystian Lupa à Varsovie, Luc Bondy à Berlin. Surtout, cette auteure choyée par la faveur publique semble à plaisir la remettre en cause, à chaque pas : faisant succéder aux pièces d'atmosphère, de groupe, qui lui valurent sa première réputation « tchékhovienne » (comme Conversations après un enterrement, 1987), de longs monologues alternés, apparemment peu théâtraux (L'Homme du hasard, 1995) ; ou bien, prenant le risque de livrer, après une machine comique d'incomparable rigueur (« Art », 1994), des objets inclassables, de facture atypique (Trois Versions de la vie, 2000), ou démembrée (Une pièce espagnole, 2003) . On lui doit également Le Dieu du carnage (2007) et Comment vous racontez la partie (2011). Yasmina Reza ne se laisse capter par aucune catégorie critique usuelle : elle demande de penser, à nouveaux frais, le présent et l'avenir du théâtre – et peut-être aussi, désormais, du roman.
Née le 1er mai 1959 à Paris, d'un père russo-iranien et d'une mère hongroise, ses études la conduisent à l'École internationale de théâtre Jacques Lecoq (comme Ariane Mnouchkine, Christoph Marthaler, Luc Bondy, beaucoup d'autres) et au département de sociologie de Nanterre. Sa solide connaissance de la scène, son amour du jeu et des planches croisent et masquent une discrète mais vive passion pour les choses de la pensée. Elle est repérée dans les années 1980 (par exemple avec La Traversée de l'hiver, 1989), comme une auteure très douée, littéraire et directe à la fois. C'est cependant le succès planétaire de « Art » (dont il faut retenir les guillemets) qui la jette au devant de l'actualité. La pièce nargue les impuissances supposées du théâtre contemporain, par son énigmatique bonheur, son efficacité comique un peu mystérieuse – et attire le soupçon de médire de l'art contemporain. Cette aura sulfureuse vaut à Reza, mais en France seulement, une réserve défiante qui éclatera lors de la création d'Une pièce espagnole : là, ce ne sont plus seulement les « veuleries culturelles » ni le marché de l'« art » qui stimulent sa veine comique, mais le théâtre lui-même, son afféterie et ses mirages. C'est que Reza ne s'est jamais résolue à s'imiter. Après « Art », loin d'exploiter le filon de la réussite, elle s'aventure : au cinéma, avec Le Pique-nique de Lulu Kreutz, tourné en 2000 par Didier Martiny, et surtout dans le récit littéraire, qui la hante. D'abord, à travers la sobre tension des fragments autobiographiques de Hammerklavier(1997), puis par deux romans acérés, Une désolation (1999), lamento bernhardien, imprécation d'un vieillard lyrique devant les affaissements de l'époque, et le superbe Adam Haberberg(2002), narration extatique d'une soirée banale, cardée dans une écriture vibrante et rêche, qui paraît annoncer l'essor d'une de nos très grandes romancières.
Il est difficile de percer l'énigme de cette prose, et de sa force. Le texte de Reza met en jeu un rapport attentif, affectueux à l'égard de la vie ordinaire (la cuisine, les vêtements, les bricoles utilitaires du modernisme plat), une assomption du quotidien quelconque qui rejoint certaines élaborations théoriques récentes – on pense au philosophe américain Stanley Cavell, croisant les héritages[...]
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Écrit par
- Denis GUÉNOUN : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
Classification
Média
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