YEN
La déflation
Jusqu'à la fin des années 1980, la croissance japonaise, au rythme de 4 p. 100 l'an, semblait ne jamais devoir s'arrêter. Mais, en accroissant la richesse relative des Japonais, la nouvelle opulence favorise des comportements d'investissement peu rentables. La très forte appréciation du yen se conjugue avec la libéralisation des échanges mondiaux et, bientôt, elle favorise les exportations de nouveaux concurrents, notamment asiatiques (Corée, Hong Kong, Taïwan, Chine). Au cours des années 1989 et 1990, le yen s’affaiblit, ce qui n’était pas arrivé depuis 1986. Cet affaiblissement donne enfin l’occasion à la Banque centrale de durcir sa politique monétaire, pour la première fois depuis mars 1980. De mai 1989 à août 1990, la Banque du Japon fait passer son taux d’escompte de 2,5 p. 100 à 6 p. 100 et impose parallèlement des restrictions quantitatives sur le crédit pour corriger l'emballement spéculatif. Ce durcissement provoque un retournement des anticipations des agents et des réaménagements de portefeuille, et fait éclater la bulle.
L'indice Nikkei des valeurs boursières chute de 40 p. 100 en 1990, le prix des actifs financiers immobiliers s'effondre en 1991. Le poids, en termes réels, de la dette contractée pour financer les investissements s'alourdit à mesure que la valeur des titres qui garantissent ces prêts se déprécie. Les défaillances de promoteurs immobiliers et de marchands de biens font s'accumuler dans les banques les créances douteuses et irrécouvrables. L’adhésion du Japon à l’accord de Bâle sur les ratios de capital en 1988, pour une application prévue en mars 1993, contraint l’activité de crédit des banques et renforce la spirale de baisse de l’activité. La récession s'installe en 1992 et l'économie entre dans une phase de déflation persistante. Le yen s’apprécie jusqu’en 1995, entraînant des pressions sur la Banque du Japon pour qu’elle baisse ses taux. Alors que le taux d'intérêt directeur passe progressivement de 6 p. 100 à 0 p. 100 (zerointerest rate policy), nul ne s'intéresse cependant ni à l'accumulation de créances douteuses ni à l'inévitable apurement des bilans bancaires.
Accentué par la persistance de la stagnation économique, le problème des créances douteuses (estimées en 1996 à 22 000 milliards de yens) va provoquer une cascade de faillites bancaires, les premières depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Novembre 1997, en pleine crise asiatique, voit la faillite de nombreuses institutions financières, dont la Hokkaido Takushoku Bank et les maisons de titres Nakamura et Yamaichi. Le gouvernement ne commencera à s'attaquer véritablement au problème qu’en octobre 1998 en créant une agence de supervision financière indépendante et un fonds de 60 000 milliards de yens (soit près de 12 p. 100 du PIB japonais), destiné à recapitaliser les banques en difficulté et à augmenter les garanties des déposants. La Long-Term Credit Bank of Japan et la Nippon Credit Bank, septième banque du pays, sont temporairement nationalisées et restructurées par le ministère des Finances. Les maisons de titres Nakamura et Yamaichi sont défaillantes en 1998.
Le Japon poursuit néanmoins une politique d'indulgence financière (forbearancepolicy). Le ministère des Finances laisse des banques insolvables continuer à opérer en leur permettant de surévaluer artificiellement leurs actifs. Des montants inadéquats sont attribués par le gouvernement pour la restructuration du système bancaire. La gravité de la détresse bancaire est largement sous-estimée. Jusqu'à la fermeture de la banque Hokkaido Takushoku, les régulateurs du ministère des Finances ne veulent pas fermer de grandes banques commerciales et imposent que les actionnaires et les créanciers non assurés ne subissent aucune perte.[...]
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Écrit par
- Sophie BRANA : docteure en sciences économiques, professeure des Universités en sciences économiques
- Dominique LACOUE-LABARTHE : professeur de sciences économiques à l'université de Bordeaux-IV-Montesquieu, directeur du Groupe de recherche en analyse et politique économiques, unité mixte du C.N.R.S. 5113
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