YI YI (E. Yang)
Cinéaste de culture chinoise, figure emblématique – avec Hou Hsiao-hsien (La Cité des douleurs, Les Fleurs de Shanghai) – de la « nouvelle vague » de Taïwan au cours des années 1980 (Ce Jour-là sur la plage, son premier film, fut réalisé en 1984), Edward Yang n'était guère connu en Europe que du cercle restreint des cinéphiles qui avaient apprécié A Brighter Summer Day (1990). Prix de la mise en scène du festival de Cannes, Yi Yi (2000), son septième film, permet au public français de le découvrir.
Le titre du film en suggère l'esprit. En chinois, l'idéogramme « Yi » signifie « un » et s'inscrit comme le premier mot dans un dictionnaire. Représenté au générique par deux courtes barres horizontales, très légèrement ondulées et superposées, « Yi Yi » pourrait se traduire par « deux ». Mais Edward Yang précise : « = évoque la façon dont chaque individu est relié à l'autre, que ce soit par l'amour, l'amitié, l'incompréhension ou tout autre chose » (Esprit, octobre 2000). Admirable film de composition chorale, Yi Yi centre sa fiction sur les relations humaines, et les tentatives de communication des consciences observées dans la vie quotidienne d'une famille aisée de Taipei. Si l'environnement culturel est celui de Taïwan, les principaux personnages, décrits avec autant de tendresse que de pudeur, représentent notre humanité confrontée au mystère de la condition humaine.
Le père de la famille Jian a pour surnom NJ (Wu Nianzhen). Ingénieur de formation, codirecteur d'une petite société de logiciels en difficulté, il affronte la crise existentielle de la quarantaine, celle du milieu de la vie où l'on remet tout en question. À l'ouverture du récit, le mariage de son beau-frère, A-Di, lui fait rencontrer par hasard A-Sui, le grand amour de sa jeunesse, éloignée de lui depuis vingt-cinq ans : un nouvel engagement sentimental est-il possible ? De son côté, Min-min (Elaine Jin), la mère, incarne le désarroi d'une conscience qui perçoit un « grand vide spirituel » provoqué, selon le cinéaste, par le « miracle économique » de Taïwan (Positif, octobre 2000). Ting-ting (Kelly Lee), adolescente timide et effacée, aspire au premier amour et s'éprend d'un garçon (Bouboule) attiré par une autre jeune fille. Quant à Yang-yang (Jonathan Chang), garçon de huit ans, il est en quête de la vérité et du sens masqué des choses : « Je ne vois pas dans mon dos. On n'a droit qu'à la moitié de la vérité. » C'est pourquoi, pour apporter la preuve de leur existence, il photographie les moustiques et les nuques des personnes qui l'entourent. L'enfant n'en éprouve pas moins un sentiment de solitude : « Pourquoi je ne vois pas ce que tu vois, dit-il à son père, et tu ne vois pas ce que je vois ? » Sa quête de ce qui existe au-delà des perceptions familières et que nous ne connaissons pas recoupe une aspiration à la création artistique : « Tout notre effort, affirme Edward Yang, est de combler ce vide par le biais de l'art » (Positif, octobre 2000).
Un fil conducteur relie entre eux les quatre personnages : la grand-mère (Tang Ruyun) – mère de Min-min et de A-Di – plongée dans un profond coma à la suite d'un accident survenu peu après qu'elle eut transporté un sac poubelle oublié par Ting-ting sur le balcon. Conduite à l'hôpital, elle a ensuite été ramenée chez elle sur ordre des médecins, qui demandent à chacun de lui parler comme si elle pouvait entendre, afin de tenter de réveiller sa conscience et de provoquer le retour à la vie normale. La grand-mère devient alors, en quelque sorte, un miroir où chaque protagoniste, renvoyé en profondeur à soi-même, prend conscience de ses états d'âme. Devant le corps immobile de la vieille dame recouvert d'un drap bleu, Ting-ting est en proie au remords (« Si tu me pardonnes,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel ESTÈVE : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma
Classification