YIN & YANG
Le yin et yang est une notion commune à tous les penseurs chinois de la fin du ve siècle avant l'ère chrétienne, ce qui – comme le souligne Marcel Granet dans La Pensée chinoise (1934) – n'atteste nullement que cette notion soit née à cette époque, mais plutôt qu'à une longue évolution et transmission orale s'est alors ajoutée sa fixation par écrit. Le philologue Bernhard Karlgren, analysant la structure des graphies archaïques du terme, a identifié pour yin les significations antiques de « versant nord d'une colline », « ombre », « obscurité », et pour yang celles de « versant méridional », « lumière », « clarté » (Analytic Dictionary of Chinese and Sino-Japanese, 1974). L'association de ces notions avec l'alternance quotidienne du soleil, apparaissant au-dessus de la ligne d'horizon et déclinant au soir pour laisser place aux ombres de la nuit, est manifeste. Dès l'origine, donc, le couple conceptuel yin et yang s'est trouvé lié aux idées d'alternance et de changement et à l'observation des phénomènes naturels, astronomiques ou météorologiques. Les spécialistes qui constituaient l'école du yinyang (yinyang jia), au tournant de notre ère, étaient principalement des observateurs du ciel et les rédacteurs du calendrier, ainsi qu'en témoignent les Mémoires historiques (ier siècle av. J.-C.) et l'Histoire des Han (ier siècle de notre ère), les plus anciennes annales historiques de la Chine.
Succession rythmique et non-opposition
La notion de yin et yang et la vaste déclinaison de significations qui lui sont associées – ombre et soleil, froid et chaleur, humidité et sécheresse, féminité et virilité, hiver et été, réclusion et travaux extérieurs, etc. – ne sont pas perçues comme une dualité, une opposition, mais comme la succession rythmique de deux aspects complémentaires. L'alternance des saisons commande les attitudes et les travaux des hommes dans toutes les sociétés rurales traditionnelles ; en Chine, elle sera présentée suivant le modèle de croissance et déclin du yin et du yang : le yang monte tandis que le yin descend au cours de la saison chaude ; arrivé à son expansion maximum, le yang entame son déclin tandis que le yin, à son minimum au cœur de l'été, s'accroît pour atteindre son plus grand développement durant les gelées hivernales.
Cette alternance régulière et harmonieuse est commandée par un principe supérieur d'ordonnancement, le dao : « Une fois yin, une fois yang, tel est le dao. » Ce terme dao (ou tao), traduit souvent par « voie », désigne également une des principales traditions religieuses et écoles philosophiques de la Chine : le taoïsme. Nous reviendrons sur l'élaboration particulière de la notion de yin et yang au sein du taoïsme, mais il faut souligner que le dao n'est pas un concept propre à cette école, chaque branche de la pensée chinoise ayant travaillé pour son compte ces notions de dao et de yin et yang. Ainsi, une autre tradition, à la suite de Zou Yan (305 env.-240 env. av. J.-C.), un penseur de la période des Royaumes combattants dont les écrits perdus ne sont conservés que sous la forme de citations éparses, a réalisé la fusion des notions des « Cinq Phases » (wu xing) et de yin et yang pour constituer un ample système classificatoire de l'espace et du temps associant une vision à la fois cosmologique et historique. Les cinq phases, ou cinq agents, traduisent d'abord une vision orientée de l'espace, puisqu'ils désignent les points cardinaux, auxquels les Chinois ajoutent un cinquième, le centre. À chacun de ces cinq points correspond une multiplicité d'éléments – nombre, saison, couleur, métal, saveur, note de musique, organe du corps humain –, selon une vaste classification corrélative au sein de laquelle chaque élément trouve son [...]
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Écrit par
- Caroline GYSS : chargée de recherche au CNRS, directrice du programme Religion et société en Chine au Groupe de sociologie des religions et de la laïcité
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