YOGA
La tradition indienne, tant hindoue que bouddhique, désigne sous le nom de yoga (« action d'atteler, de maîtriser, de dompter ») une technique de salut originale qui se propose de libérer l'âme de sa condition charnelle par l'exercice de disciplines psychiques et corporelles. Le point de départ en est la croyance en l'existence, à l'intime de chaque individu, d'un principe éternel (ātman, « âme ») identique à l'Esprit universel (puruṣa, ou brahman) ; cette essence est en quelque sorte exilée dans le monde de l'existence où elle est condamnée à se réincarner indéfiniment, passant de corps en corps à la manière d'un oiseau migrateur (haṁsa, « oie sauvage »). Embarquée malgré elle dans le char de la vie, elle aspire à descendre du véhicule mais ne le peut, car, étant par définition impassible, inactive, contemplative, toute initiative lui échappe.
Cependant, la lumière qui émane d'elle (l'ātman est comme un feu qui brûle dans le cœur de chaque être) parvient, dans certains cas, à illuminer la pensée (manas), qui joue le rôle du cocher dans la symbolique du char. Ayant pris conscience de la condition malheureuse de son âme, l'individu ainsi éclairé s'efforce de maîtriser les chevaux de l'attelage jusqu'à parvenir à l'arrêt complet du véhicule – circonstance unique (car normalement la course n'a pas de fin, même si le char est différent à chaque vie nouvelle) dont l'ātman profitera pour quitter à jamais sa condition de passager involontaire. C'est là tout le programme du yoga ; et l'on voit immédiatement quelle place privilégiée il accorde à l'esprit humain (manas) : les exercices corporels n'ont de valeur, dans cette perspective, que dans la mesure où ils contribuent à donner à la pensée la plénitude de sa puissance.
Exposé systématiquement par Patañjali dans les Yoga Sūtras (ive s. av. J.-C. ?) qu'interprètent, depuis plus de vingt siècles, des dizaines de commentateurs, célébré dans la Bhagavad Gītā (de la même époque) et dans de nombreuses upaniṣad, le yoga reste réservé à ceux qui reçoivent l'initiation d'un maître qualifié (guru) après une période de noviciat. Parmi les conditions requises figure une longue liste de valeurs à respecter, telles que la chasteté, l'équanimité, la véracité. Lorsque ces vertus sont devenues habituelles, le disciple commence l'étude du yoga proprement dit : on lui enseigne à retenir son souffle (exercice de prāṇāyama, « maîtrise du souffle ») et à fixer son attention (dhāraṇā). Il a choisi au préalable la posture (āsana) qui lui convient parmi tout un jeu de possibilités et il a, simultanément, appris à se couper du monde extérieur par l'exercice du pratyāhāra (« retrait des sens »). Vient ensuite la pratique de la méditation (dhyāna) qui, bien menée, doit conduire au samādhi, moment où s'opère la mutation essentielle qui libère l'âme de sa condition existentielle.
Ces différentes étapes ne se comprennent que par référence à la doctrine du corps « subtil » qui, chez chacun d'entre nous, double le corps « grossier » seul accessible aux sens. Ainsi, la tenue du souffle, ou prāṇāyama, sert-elle à permettre au prāṇa (« souffle inspiré ») d'atteindre un centre (cakra, « roue ») situé à la base du corps subtil. Là gît une Puissance qui, chez l'homme ordinaire, n'est que virtuelle (on la compare à un serpent femelle endormi). Réalisée par le yoga (« éveillée » par le souffle), cette Puissance (on l'appelle Kundalinī, l'« Enroulée ») s'activera et, guidée par la pensée durant les exercices de méditation, montera progressivement, de chakra en chakra, jusqu'au sommet du corps subtil où elle s'unira à l'âme (ātman[...]
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Écrit par
- Jean VARENNE : docteur ès lettres, professeur à l'université de Lyon-III
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Médias
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- Écrit par René ALLEAU et Encyclopædia Universalis
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