YOHJI YAMAMOTO (exposition)
Du 13 avril au 28 août 2005, le musée de la Mode et du Textile (Arts décoratifs) à Paris présentait une exposition « carte blanche » consacrée au créateur de mode japonais Yohji Yamamoto (né en 1943). Cette manifestation s'inscrivait dans une politique d'ouverture du musée à la création contemporaine, en alternance avec la présentation par roulement des collections de l'institution.
L'exposition offrait d'abord une sorte d'arrêt sur image, décrivant le processus de création du couturier. Des rouleaux de tissu accueillent le visiteur, qui pénètre ensuite au cœur de l'atelier méticuleusement reconstitué. Des croquis jonchent le sol, mais aussi des toiles comme autant d'études, des vêtements inachevés et encore, suspendues aux murs, des références éclectiques, comme issues d'une bibliothèque idéale. L'ancien et le nouveau s'y confondent, à l'exemple de ces pourpoints du xviiie siècle en toile teintée à l'indigo, provenant du Musée national des arts et traditions populaires, qui auraient pu défiler hier…
Suivant la logique professionnelle, le premier étage s'achevait par la présentation des collections à la presse et aux acheteurs. Des cartons d'invitation éparpillés sur des chaises voisinent avec une quarantaine de moniteurs affichant simultanément tous les défilés de Yamamoto depuis sa première présentation à Paris, dans la Cour carrée du Louvre, en 1981. Brouillant la perception du temps, les vidéos diffusent en silence l'œuvre du couturier. Le dispositif kaléidoscopique incite à la comparaison. Inlassablement, les mannequins se succèdent, arpentant les mêmes podiums. Chaque modèle est unique. Il ne laisse rien augurer du suivant. Pourtant, il se dégage un sentiment d'unité, d'homogénéité, de persévérance, caractéristiques d'un style abouti. Les silhouettes semblent imperméables aux tendances de la mode : aucune allusion au baroque des années 1980, rien de commun non plus avec le minimalisme affecté de la décennie suivante. Il n'y a là aucun ancrage anecdotique, aucune concession à l'actualité. Depuis la fin des années 1960, Yohji Yamamoto s'applique à échapper à l'emprise du temps. C'est ce qu'affirmait la seconde partie de l'exposition.
Ni chronologique ni thématique, cette section était purement formelle. Des modèles, dont les plus anciens datent de 1992 (toutes les archives antérieures ayant été volontairement détruites par leur auteur), sont ici livrés au public : des volumes – vêtements, chapeaux ou chaussures – qui répondent à l'architecture massive du musée.
La scénographie de Masao Nihei, fidèle collaborateur du couturier, rompait judicieusement avec les habitudes du lieu. L'espace uniformément blanc, très lumineux, est agrémenté de néons de couleur. Les vitrines, loin de constituer un obstacle visuel, procurent à l'espace profondeur et transparence. Les mannequins de couturière sont alignés, à l'intérieur comme à l'extérieur des caissons vitrés, ce qui constitue une nouveauté pour ce musée. Mais le respect s'impose, le visiteur ne touche à rien : comme face à des sculptures, il convient, pour apprécier cet art, de se tenir à distance, d'embrasser la silhouette du regard avant de se préoccuper du détail.
Le volume du modèle se dessine en une puissante composition, un savant jeu de construction ou déconstruction. L'asymétrie est fréquente, mais les proportions toujours équilibrées. Comme chez Vionnet, Grès, Chanel ou Balenciaga, à qui un hommage était rendu en fin de parcours, c'est la monumentalité qui frappe le visiteur – une sombre monumentalité. Beaucoup de créations sont noires ou bleu marine. Si quelques-unes adoptent une franche monochromie, rouge, violet, émeraude ou jaune, le plus étonnant est que, même privée de couleur, la forme[...]
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Écrit par
- Catherine ORMEN : historienne de la mode
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