YŌKO TAWADA (1960- )
« Où commence l'Europe ? » (Wo Europa anfängt ?, 1991, « Où commence l'Europe », in LITTERall, no 7) Dans le Transsibérien qui la mène de Vladivostok à Moscou, Yoko Tawada pose cette question aux passagers du train quelque peu éberlués. Véritable poétique du déplacement, du franchissement des frontières, de la mobilité et de la différence culturelle conçues comme préalables à l'écriture, le texte de Yoko Tawada ne veut pas être un récit de voyage. Composé d'éléments hétérogènes qui mêlent souvenirs du pays que l'on quitte, contes, récits – oniriques parfois – évocations des contrées rencontrées et réflexions intérieures, il puise dans le fonds mondial des mythes et légendes et les mêle savamment. D'autres textes suivront, tels que Narrateurs sans âmes (2001, Erzähler ohne Seelen), ainsi que les treize récits de Train de nuit avec suspects (2005, traduit du japonais) qui reviendront sur ce thème fondamental dans l'œuvre de l'écrivain.
Entre deux langues
Née à Tōkyō en 1960, Yoko Tawada vit en Europe depuis 1982, à Hambourg d'abord, puis à Berlin. Écrivain à l'identité double, elle écrit dans sa langue maternelle et en allemand. Elle s'en explique ainsi : « Lorsque j'étais enfant, j'ai su très vite que j'écrirais, j'écris depuis l'âge de douze ans. J'ai très vite compris que le japonais n'était pas une langue suffisante pour écrire. Il me fallait une autre langue. Le russe était la plus belle des langues, ensuite venait le français, et l'allemand à cause de Kafka... À l'époque, les Russes n'acceptaient pas d'étudiants japonais ; j'ai dû renoncer à la Russie. J'aimais le français, mais mes professeurs n'étaient pas assez indulgents, ils ne me pardonnaient pas mes erreurs. Ce sont pourtant les erreurs qui produisent la littérature. Va pour l'allemand ! » (in Sprachpolizei und Spielpolyglotte, 2007). Mais, poursuit-elle : « Lors de ma première venue en Europe, par le Transsibérien, j'ai perdu mon âme. Quand je suis repartie par le train, mon âme était encore en route vers l'Europe. Je n'ai pas pu l'attraper. Lorsque je suis revenue en Europe, elle était en route vers le Japon. » Toute son œuvre traduit cette ambivalence, ce va-et-vient constant et ludique entre deux langues, deux cultures, deux modes de pensée et deux écritures. Sa fascination pour les cultures européennes est cependant grande, comme l'atteste le titre de sa thèse : « Jouet et magie verbale dans la littérature européenne. »
D'abord publiée en Allemagne, puis au Japon, Yoko Tawada commence une œuvre (poésie, théâtre, récits, romans, essais) à double versant, en allemand et en japonais, évitant de traduire elle-même ses textes en allemand, mais se traduisant parfois en japonais et mêlant de temps à autre dans un même livre, des textes dans les deux langues. C'est la littérature de langue allemande qui nourrit l'essentiel de son œuvre : Kafka, Celan, mais aussi bien sûr E.T.A Hoffmann et tous les romantiques, même si la protagoniste de L'Œil nu – une jeune Vietnamienne venue de R.D.A. à Paris en 1988, seule et sans connaissance de la langue du pays – s'immerge, pour échapper à la solitude, dans l'univers cinématographique français, essentiellement représenté par les films avec Catherine Deneuve qui devient une figure onirique et ludique.
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Écrit par
- Nicole BARY
: directrice de l'association
Les Amis du roi des Aulnes , traductrice
Classification
Média
Autres références
-
JAPON (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Jean-Jacques ORIGAS , Cécile SAKAI et René SIEFFERT
- 22 458 mots
- 2 médias
...japonaise installée aux États-Unis, qui explore l'intervalle existant entre les deux pays. Parfois, la répercussion est plus fondamentale. Tel est le cas de Tawada Yōko (née en 1960), qui vit en Allemagne après ses études universitaires au Japon : elle est l'auteure d'une œuvre double, se déployant parallèlement...