YŌKO TAWADA (1960- )
Le passage des frontières
Les protagonistes des textes narratifs de Yoko Tawada sont le plus souvent des femmes, passeuses de frontière comme elle, fragiles, agiles, qui hantent les quais de gare, attendent des trains improbables qui les emmèneront vers des directions tout aussi incertaines (Opium für Ovid, 2002[Opium pour Ovide, 2005] ; Schwager in Bordeaux, 2008[Voyage à Bordeaux, 2009]).
Constamment à la frontière du réel et de l'onirique, Yoko Tawada jongle avec les idéogrammes et l'alphabet des langues européennes qui lui a permis d'écrire à la première personne (dans Narrateurs sans âmes), l'emploi du « je » étant impossible en japonais. Que si peu de caractères permettent d'écrire tant de choses ne cesse de l'émerveiller. Et elle insiste sur les différentes approches des textes en fonction de la langue : les langues à alphabet induisent l'analyse, souligne-t-elle, car on peut décomposer les mots, alors qu'en japonais l'écriture fait appel à une perception visuelle et globale, semblable à la lecture d'une bande dessinée.
Dans ses écrits suivants, Yoko Tawada poursuit sa réflexion théorique sur l'identité poétique et culturelle, en particulier dans ses essais (Von der Muttersprache zur Sprachmutter). Elle thématise avec humour les expériences d'une jeune femme tout juste arrivée du Japon qui transforme le travail quotidien dans un bureau allemand en une succession de postures énigmatiques. Le caractère aléatoire des genres des mots (inexistants en japonais) lui posent problème. Dans un univers d'objets essentiellement masculins, la machine à écrire devient une mère de substitution, une mère-langue : « Quand on a une nouvelle mère-langue, on peut vivre une nouvelle enfance. Enfant, on prend la langue au pied de la lettre. Ainsi chaque mot a sa propre vie qui s'émancipe du sens de la phrase. »
En 2011, Yoko Tawada est en train de travailler à la rédaction de trois leçons de poétique – sur la traduction littéraire et l'image du Japon en Occident – lorsque se produit la catastrophe de Fukushima. Abasourdie par le tragique de l'événement, elle analyse son mal-être, met en abîme Fukushima et Hiroshima. La catastrophe « m'a jetée par-dessus bord. Dans l'eau froide [...] C'est la littérature dans son ensemble qui s'en trouve modifiée, celle passée, et bien sûr celle à venir ». Existe-t-il, interroge-t-elle « une liste des livres „sûrs en cas de séisme“ c'est-à-dire des livres qui gardent leur valeur après les catastrophes » (Journal des jours tremblants, 2012, traduit de l'allemand et du japonais). Pour son œuvre, Yoko Tawada a reçu, tant en Allemagne qu'au Japon, les plus hautes distinctions.
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Écrit par
- Nicole BARY
: directrice de l'association
Les Amis du roi des Aulnes , traductrice
Classification
Média
Autres références
-
JAPON (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Jean-Jacques ORIGAS , Cécile SAKAI et René SIEFFERT
- 22 458 mots
- 2 médias
...japonaise installée aux États-Unis, qui explore l'intervalle existant entre les deux pays. Parfois, la répercussion est plus fondamentale. Tel est le cas de Tawada Yōko (née en 1960), qui vit en Allemagne après ses études universitaires au Japon : elle est l'auteure d'une œuvre double, se déployant parallèlement...