YOKOMITSU TOSHIKAZU ou RIICHI (1898-1947)
Un express fonce à travers la plaine. La foule court. Des mouvements rapides sillonnent le champ du regard. La conscience traverse tour à tour des états de stagnation et des états de crise : les marais de la fatigue, les obsessions imaginaires, les pièges de la jalousie, de l'orgueil ou de la timidité. Des gros plans alternent avec des avalanches de métaphores.
Yokomitsu Toshikazu (dont le nom personnel se lit communément Riichi) commence à publier en 1923 et conquiert aussitôt la gloire. Chaque nouvelle ou récit (Monnaie de l'affliction, Kanashimi no daika, composé vers 1921 ; La Mouche, Hae ; Cercle solaire, Nichirin, 1923 ; Napoléon et la teigne, Naporeon to tamushi, 1925 ; Machine, Kikai, 1930) est un feu d'artifice d'audaces formelles. Il défie la langue de son propre pays. Souvent ont été rappelés depuis les noms des auteurs occidentaux, de Joyce à Paul Morand, dont les artistes dévorent alors les premières traductions. Mais il ne les connaît que de manière fragmentaire : tout au plus sont-elles pour lui des signaux de reconnaissance. Dans ses livres se reflète, comme en un jeu de miroirs mouvants, une sensibilité à fleur de peau. C'est pour Yokomitsu que semble avoir été créée l'appellation du groupe, Shinkankakuha (Sensations nouvelles, néo-sensationnisme), qu'il anime à partir de 1924 avec Kawabata Yasunari. L'histoire est emportée par une accélération croissante : il ne lui reste que la rage d'écrire.
Il entreprend en 1928 un roman plus long, Shanghai (1928-1931). Dans la ville immense se côtoient des Chinois, des Japonais en quête d'affaires ou d'aventures, des Européens. La révolution gronde. Le récit n'évite ni l'artifice ni l'outrance, mais il s'impose aujourd'hui, rumeur puissante où se fondent des voix multiples. Les constructions insolites, les audaces de langage auxquelles il se complaisait sont maintenant moins nombreuses. L'écrivain semble avoir trouvé la forme qui s'accorde le mieux à son souffle. Alors s'ouvre la suite de ses œuvres les plus remarquables : Jardin de sommeil (Shin-en, 1930) ; Les Armoiries (Monshō, 1934) ; Tristesse du voyage (Ryoshū, 1937-1946). La première partie de cette œuvre ultime se déroule à Paris, où il a séjourné en 1936, et il donne libre cours au ressentiment qu'il éprouve envers cette civilisation du christianisme, des canons et de la science. Dans ses dernières années, il se proposera de revenir aux « sources du Japon ».
Mieux que nul autre, Yokomitsu avait su évoquer l'avant-guerre, ses ivresses, ses naïvetés et la brusque irruption de la peur. Il restitue dans sa chaleur le flot trouble de la vie. Durant toute son existence, il avait été possédé par la passion du romanesque.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Jacques ORIGAS : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
-
JAPON (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Jean-Jacques ORIGAS , Cécile SAKAI et René SIEFFERT
- 22 458 mots
- 2 médias
...expressionnistes, le cinéma hantent l'imagination de Kawabata Yasunari (1899-1972) lorsqu'il compose en 1926 ses « romans miniatures », d'une singulière beauté. Yokomitsu Toshikazu (1898-1947), son ami et rival, dévore Joyce, use tour à tour du monologue intérieur, de la description, de la relation historique,...