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CHAHINE YOUSSEF (1926-2008)

En attribuant au Destin le prix du cinquantième anniversaire, le festival de Cannes 1997 a honoré un film qui, à partir de la vie du philosophe musulman Averroès dans l'Andalousie du xiie siècle, démontre, sous la forme d'un appel à un islam tolérant, que la foi n'est pas toujours synonyme d'obscurantisme. Le prix a également couronné la longévité d'une carrière commencée en 1950, et forte de trente deux longs métrages. L'œuvre de Youssef Chahine (Yūsuf Chāhīn) est tout sauf monolithique. Elle a épousé les contradictions de son pays, l'Égypte, s'identifiant à sa culture et à son histoire, parvenant à imposer une expression personnelle au sein d'une industrie cinématographique strictement commerciale, naguère florissante et aujourd'hui décimée. Le cinéaste a toujours eu besoin d'un interlocuteur, réel ou imaginaire : ce désir de s'adresser à l'autre, au citoyen du monde, est le moteur d'une œuvre en forme de lettre ouverte. Au sein d'une époque surmédiatisée, Chahine estime qu'il est de son devoir de témoigner des problèmes de son temps et de son pays, le cinéma étant la forme artistique vivante qui donne le meilleur accès à la culture de l'autre. Aussi peut-on lire en filigrane de son œuvre toute l'histoire contemporaine de l'Égypte, du roi Farouk à l'épopée nassérienne, de la défaite de 1967 (la guerre de Six Jours) à la montée actuelle de l'intégrisme, ainsi que toute l'évolution formelle du cinéma égyptien sur la même période : comédies musicales et mélodrames populaires des années 1950 (les studios du Caire ont été pendant longtemps le Hollywood du cinéma arabe), influence du néo-réalisme italien puis du cinéma soviétique, à travers la peinture du monde rural et la grande fresque nationaliste hagiographique. Volontiers impur, le cinéma de Chahine se plaît, avec un mélange de culot et de naïveté, à brasser les genres et les styles. Il est aussi à l'aise dans les paysages naturels que dans les décors en carton-pâte (bricoleur de génie, il profite au mieux de l'exiguïté des studios du Caire), y gagnant une souplesse qui lui permet d'enchaîner reconstitution monumentale et journal intime.

Youssef Chahine, d'origine grecque par sa grand-mère, naît en 1926 à Alexandrie, terre d'accueil de toutes les populations méditerranéennes dont l'atmosphère chaleureuse nourrira son œuvre. Après des études de cinéma et d'art dramatique à la Pasadena Playhouse en Californie, il revient en Égypte où il réalise à l'âge de vingt-quatre ans son premier film, Papa Amine (1950), une comédie familiale musicale influencée par Hollywood, caractéristique aussi d'une production égyptienne au temps du roi Farouk qui subsistera sous Nasser. La carrière et l'œuvre de Chahine peuvent être divisées en trois périodes. La première s'achève en 1965, année où le cinéaste, en froid avec la bureaucratie nassérienne, s'exile au Liban et y tourne un film musical avec la chanteuse Fayrouz (Le Vendeur de bagues, 1965). La deuxième commence en 1967, année de son retour en Égypte, qui coïncide avec la défaite militaire. La troisième débute en 1978 avec Alexandrie pourquoi ? et correspond à un repli sur soi, l'autobiographie renouvelant le regard que le metteur en scène porte sur son pays et son époque.

Histoire et mélodrame

Le premier volet de son œuvre montre un Chahine à deux visages, qui alterne les films commerciaux où il s'initie aux mélanges des genres (burlesque, musical, comédie, mélodrame) et les œuvres personnelles, qui témoignent de sa sensibilité à l'écoute du monde, miroir de son rapport fluctuant au nassérisme. Mis à part Le Fils du Nil (1951), mélodrame manichéen qui oppose la campagne salvatrice à la ville, lieu de dépravation, c'est avec[...]

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Écrit par

  • : critique de cinéma, maître de conférences en histoire et esthétique de cinéma, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Autres références

  • LA TERRE, film de Youssef Chahine

    • Écrit par
    • 860 mots

    Né à Alexandrie, Youssef Chahine (1926-2008), après des études de cinéma et d'art dramatique à la Pasadena Playhouse en Californie, signe en 1956 un premier film militant, Les Eaux noires (Sirā'fī al-minā'), dans lequel, sur une toile de fond mélodramatique, il introduit le réalisme...

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