YUKAWA HIDEKI (1907-1981)
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Physicien japonais, né le 23 janvier 1907 à Tōkyō, dans une famille bourgeoise, nourrie de culture classique, notamment chinoise, dans la tradition confucéenne, Yukawa Hideki était le cinquième de sept enfants qui devinrent, pour la plupart, d'éminents universitaires. Son père, Ogawa Takuji, géologue et géographe, fut nommé professeur à l'université de Kyōto et c'est donc dans cette ville que Yukawa fit ses études. Il fut très vite porté vers les mathématiques et la philosophie : celles de Laozi et de Zhuangzi, où la Nature tient une place importante, l'influencèrent durablement.
Admis au département de physique de l'université en 1926, il y eut comme condisciple un autre futur Prix Nobel, Shin-ichiro Tomonaga (1906-1979). Le Japon, bien qu'imprégné déjà de la technologie moderne, ne s'était ouvert que peu à peu à la science au sens occidental. Grand lecteur, Yukawa se passionna vite pour les nouvelles conceptions philosophiques accompagnant la relativité et la théorie des quanta, conceptions qu'il avait découvertes en particulier dans les ouvrages de Max Planck. En marge de ses études, il eut connaissance des développements contemporains de la mécanique quantique qui aboutirent à sa formulation bien établie vers la fin des années 1920. Il obtint son diplôme à l'université de Kyōto en 1929 et commença, dès lors, des recherches personnelles dans la double direction de la mécanique quantique relativiste — voie ouverte par Paul Dirac en 1928 — et de la physique nucléaire qui se dessinait alors. Il s'attacha tout d'abord au problème de la liaison nucléaire — liaison électron-proton, le neutron étant une particule encore inconnue —, puis à la théorie quantique des champs, au moment même où Werner Heisenberg et Wolfgang Pauli élaboraient leur travail fondamental. Il put assister, en 1929, à des exposés de Dirac et de Heisenberg, de passage à Kyōto. Le physicien Nishina Yoshio (1870-1951), qui revenait d'un long séjour chez Niels Bohr à Copenhague — il était l'auteur, avec Oscar Klein, de la formule désormais célèbre de Klein-Nishina sur la diffusion des électrons —, lui accorda, ainsi qu'à Tomonaga, son soutien.
C'est en avril 1932 que Yukawa, qui portait encore le nom d'Ogawa, épousa Yukawa Sumi, dont la famille l'adopta. À la même époque, il fut nommé lecteur de physique à l'université de Kyōto, tandis que Tomonaga se rendait à Tōkyō pour travailler avec Nishina. Tout en enseignant la mécanique quantique, Yukawa poursuivait ses recherches sur les problèmes de la physique des noyaux. En 1933, il se rendit à l'université d'Ōsaka où il fut nommé professeur assistant en 1936. Il travailla comme théoricien, en relation avec une importante équipe de jeunes physiciens expérimentateurs qui disposaient d'un cyclotron. Stimulé par le travail d'Enrico Fermi sur la radioactivité bêta, paru en 1934, il s'attaqua au problème de la force nucléaire, que la théorie de Fermi — comme venaient de le montrer les travaux de D. Iwanenko et I. Tamm — était impuissante à résoudre. Il reprit une idée qu'il avait déjà considérée lors de ses premiers travaux, celle d'une force d'échange, transmise entre le neutron et le proton par une particule nouvelle associée à un champ nouveau, dont il se proposait de déduire les propriétés à partir de la force nucléaire. C'est en octobre 1934 qu'il découvrit la solution, en obtenant une relation entre la masse de cette particule d'échange hypothétique et la portée de l'action des forces nucléaires. Cette dernière étant de l'ordre de 2 × 10—13 cm, la particule de Yukawa, le méson, devait avoir une masse valant deux cents fois celle de l'électron. Il fallait supposer que ces mésons étaient de spin entier ou nul, qu'ils obéissaient à la statistique de Bose-Einstein et qu'ils étaient pourvus de charges positive et négative.
Ce travail n'attira pas l'attention (ainsi Niels Bohr, de passage au Japon au printemps de 1937, rejeta l'hypothèse qui s'y trouvait avancée) jusqu'au jour où C. Anderson, S. Neddermeyer et d'autres chercheurs annoncèrent la découverte d'une particule nouvelle dans le rayonnement cosmique, ayant la masse prévue par Yukawa. Il apparut toutefois que l'interaction de ce méson avec la matière était trop peu intense pour qu'il puisse être la particule d'échange des forces nucléaires. La théorie des deux mésons pallia la difficulté : le méson π se désintégrait en donnant la particule observée par Anderson — le muon. Le méson π fut en réalité découvert en 1947 par C. Lattès, C. Powell et G. Occhialini.
Yukawa compléta et poursuivit ces recherches décisives dans la direction d'une théorie quantique du champ scalaire, en collaboration avec de jeunes physiciens, Sakata Shoichi, Taketani Mitsuo, Kobayashi M., notamment. Il avait découvert entre-temps, avec Sakata, le mécanisme de désintégration du noyau par capture d'un électron orbital, en appliquant la théorie de Fermi. Ses recherches ultérieures en direction d'une théorie quantique relativiste du champ non local inspirèrent, en particulier, les travaux de Tomonaga sur la renormalisation.
Nommé professeur à l'université de Kyōto en 1939, où il créa une brillante école de physique théorique, Yukawa rencontra en Europe et aux États-Unis, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, les plus grands physiciens de l'époque. Après la guerre, la physique du méson connut une activité aussi intense que féconde, ouvrant le domaine nouveau de la physique des particules élémentaires. Yukawa fonda, en 1946, la revue japonaise Progress of Theoretical Physics, qui publie depuis lors, en anglais, des travaux de niveau international. Il effectua un séjour à l'université de Princeton (N.J.) en 1948 sur l'invitation de J. R. Oppenheimer, et fut nommé professeur à l'université de Columbia, dans l'État de New York, de 1949 à 1953. Il fut le premier Japonais à recevoir le prix Nobel de physique, en 1949, pour sa théorie mésique des forces nucléaires.
Yukawa fonda l'institut de recherches de physique fondamentale de l'université de Kyōto et le dirigea jusqu'à sa retraite, en 1970. Il ne se cantonna pas dans une activité de physicien : il écrivit des essais sur la créativité scientifique et milita en faveur de la paix, signant l'Appel d'Albert Einstein et de Bertrand Russell contre l'utilisation des armes atomiques.
Il mourut à Kyōto le 9 août 1981.
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Écrit par
- Michel PATY : directeur de recherche émérite au CNRS
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