BONNEFOY YVES (1923-2016)
Le parcours poétique d'Yves Bonnefoy peut se situer sous le signe de l'injonction rimbaldienne des Illuminations : « trouver le lieu et la formule ». Mais si la hâte est constitutive de la quête rimbaldienne, la maturation progressive est le propre de l'œuvre de Bonnefoy, organisée autour d'un centre générateur bifocal – le « simple » et le « sens ». L'œuvre de Bonnefoy naît d'une double urgence : celle d'identifier la poésie et le « sens » ; celle de contester toute parole pour laquelle cette identification ne serait pas problématique. La coïncidence conflictuelle de ces deux urgences fonde la poésie de Bonnefoy. L'acte de foi (la possibilité du « sens ») et le parti pris du doute (la mise à l'épreuve du « sens ») coexistent sous une haute tension qui est le signe distinctif de ce poète. Si Yves Bonnefoy peut aujourd'hui ouvrir la question du « sens », c'est qu'il la « formule » autrement, à travers une autre question, pour lui vitale : celle du « simple ». L'« espoir », clé de voûte de l'œuvre, se fonde alors sur le risque d'un apprentissage réciproque du « sens » par le « simple ».
Éléments pour un itinéraire spirituel
« Le lieu et la formule », Bonnefoy les cherche, dès l'enfance, dans le creuset de l'opposition entre la tristesse de Tours, où il naît le 24 juin 1923, et la plénitude de la terre des grands-parents maternels (Toirac, lieu des « pierres »). Aussi un manichéisme géographique fonde-t-il d'emblée cette topologie poétique, oscillant dès l'origine entre l'« exil » et le « vrai lieu » et sur laquelle reviendra son dernier livre, L’Écharpe rouge (2016). Le départ pour Paris, en 1943, est indissociable d'une relance de la quête, revivifiée au contact du surréalisme. Il s'agit alors de lutter contre le concept, de valoriser par le pouvoir du surréel la densité matérielle, primitive des choses. Si Yves Bonnefoy rompt avec le surréalisme en 1947, c'est que ce mouvement ne parvient plus à le mettre sur la voie recherchée : il est selon lui trop entaché de « gnose », au détriment de la simplicité du réel. Le poète demeurera cependant attaché, de façon souterraine, au surréalisme et à Breton, ne serait-ce que par la valorisation constante des notions de « fièvre », d'« intensité » et de « hasard ».
Mais c'est désormais à l'écart des écoles qu'Yves Bonnefoy poursuit sa recherche, sous le double signe de la « présence » et de la précarité, grâce à l'équilibre maintenu entre quatre directions de l'esprit : l'écriture poétique ; la conception d'ouvrages consacrés aux arts plastiques (du Quattrocento et du baroque jusqu'à Giacometti), inséparable de la collaboration avec les peintres amis (Alechinski, Tàpies, Garache, Assar, Hollan) ; la traduction (Shakespeare, Yeats, Keats, Leopardi) ; et, de 1981 à 1993, l'enseignement au Collège de France, qui confirme le souci de ne pas séparer la poésie de la réflexion sur la poésie.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michèle FINCK : professeur de littérature comparée à l'université de Strasbourg
Classification
Média
Autres références
-
DU MOUVEMENT ET DE L'IMMOBILITÉ DE DOUVE, Yves Bonnefoy - Fiche de lecture
- Écrit par Pierre VILAR
- 930 mots
- 1 média
Lorsque paraît son premier recueil en octobre 1953, sous la couverture bleutée des éditions du Mercure de France, Yves Bonnefoy n'a publié qu'une plaquette, Traité du pianiste (1946). Quelques textes ont paru dans des revues (Les Deux Sœurs, La Part du sable, Troisième Convoi, La Révolution...
-
L'ÉCHARPE ROUGE (Y. Bonnefoy) - Fiche de lecture
- Écrit par Yves LECLAIR
- 1 092 mots
- 1 média
Né en 1923 à Tours de parents originaires des Causses et mort à Paris en 2016, le poète, critique et traducteur français Yves Bonnefoy revient dans L’Écharpe rouge (Mercure de France, 2016), ultime livre publié de son vivant avec un recueil de poésie, Ensemble encore suivi de Perambulans in...
-
LES PLANCHES COURBES, Yves Bonnefoy - Fiche de lecture
- Écrit par Yves LECLAIR
- 850 mots
Avec le recueil Les Planches courbes (Mercure de France, 2001), Yves Bonnefoy (1923-2016) poursuit le travail de clarification entrepris depuis Ce qui fut sans lumière (1987) et Début et fin de la neige (1991). La publication de ces poèmes, dont certains ont fait l’objet de livres d’artiste (Mehdi...
-
YVES BONNEFOY PENSEUR DE L'IMAGE (P. Née)
- Écrit par François TRÉMOLIÈRES
- 989 mots
Patrick Née s'est constitué une solide autorité dans le domaine des études sur Yves Bonnefoy – certainement le poète vivant qui suscite le plus de travaux universitaires en langue française – avec la publication coup sur coup de quatre ouvrages : Poétique du lieu dans l'œuvre d'Yves...
-
LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE
- Écrit par Dominique RABATÉ
- 7 278 mots
- 13 médias
...pratique et redéfinir son art. Ce que consacre la chaire de poétique du Collège de France occupée par Paul Valéry (1871-1945) de 1937 à 1945, puis par Yves Bonnefoy (1923-2016) de 1986 à 1997. Dans les deux cas, c’est une réflexion d’ampleur sur le « faire » de la littérature, ainsi qu’une histoire des... -
LYRISME
- Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH , Jean-Pierre DIÉNY , Jean-Michel MAULPOIX , Vincent MONTEIL et René SIEFFERT
- 10 725 mots
- 2 médias
...Comment appréhender l'éternel dans le transitoire ? Telle est peut-être la question centrale de tout poème lyrique. La poésie s'y montre en quête de ce qu' Yves Bonnefoy appelle le « vrai lieu », où l'infini tout à coup « se déclare » et se donne à lire dans le fini. Elle essaie de parvenir à un nouveau sentiment...