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YVES BONNEFOY PENSEUR DE L'IMAGE (P. Née)

Patrick Née s'est constitué une solide autorité dans le domaine des études sur Yves Bonnefoy – certainement le poète vivant qui suscite le plus de travaux universitaires en langue française – avec la publication coup sur coup de quatre ouvrages : Poétique du lieu dans l'œuvre d'Yves Bonnefoy ou Moïse sauvé (P.U.F., Paris, 1999), Rhétorique profonde d'Yves Bonnefoy (Hermann, Paris, 2004), Zeuxis auto-analyste. Inconscient et création chez Yves Bonnefoy (La Lettre volée, 2006) – et ce monumental Yves Bonnefoy penseur de l'image (Gallimard, Paris, 2006)...

Il serait dommage de limiter la portée du présent essai aux seuls « spécialistes » – plus encore, aux seuls lecteurs par avance convaincus de l'importance de l'œuvre étudiée, y compris sur le terrain indiqué en son titre de la « pensée ». Car la démarche vise à montrer l'importance du « point de vue poétique », tel que l'incarne et le défend Yves Bonnefoy, pour toute réflexion sérieuse sur l'homme.

Le lecteur commencera par traverser deux forts chapitres quasi exclusivement centrés sur l'œuvre du poète avant que s'engage, dans les deux suivants, une discussion avec des auteurs, considérés ou comme des sources d'Yves Bonnefoy (Léon Chestov, Étienne Gilson, Jean Wahl et à travers lui Kierkegaard ou Hegel, Anders Nygren de manière plus indirecte), ou comme ses interlocuteurs (Georges Duthuit, Georges Bataille abordé ici seulement en passant, car un chapitre lui est consacré dans Zeuxis auto-analyste), tantôt – et c'est là bien sûr qu'apparaît l'enjeu revendiqué – comme des autorités dans le domaine crucial d'une pensée de l'image (Jean-Luc Marion, Marie-José Mondzain), mais sans rapport explicite à cette œuvre, plus ou moins ignorées d'elle et qui peuvent l'ignorer en retour, le commentateur s'attachant plutôt à mettre en évidence une communauté d'intérêt, et y validant ses propres intuitions sur la portée théorique de cette dernière. Même mouvement dans la seconde partie, consacrée pour l'essentiel à la reprise par Yves Bonnefoy de grands mythes antiques (Glaucus, Pygmalion, Zeuxis et Hélène, Psyché...) : mythes de la statue, du peintre, du sculpteur (ou plutôt du modeleur), de la représentation de l'objet aimé ou désiré et de la possibilité de le contempler, le dialogue s'instaurant – parfois en écho à des analyses déjà présentes dans la première partie, celles en particulier autour des travaux de Louis Marin et de Georges Didi-Huberman – en fonction de deux grandes orientations : l'iconologie et l'histoire de l'art (Hubert Damisch), la psychanalyse (Monique Schneider, dont l'attention au « féminin » paraît à Patrick Née en profonde affinité avec celle d'Yves Bonnefoy à la « voix » et la « parole »). Cette œuvre apparaît alors dans toute l'ampleur d'une « contre-doxa », non pas naïve mais au contraire informée et combative, consciente du climat hostile dans lequel elle s'est développée : la doxa structuraliste et derridienne. Aussi le commentateur présente-t-il comme nécessaire l'orientation parfois polémique (ainsi lorsqu'il s'agit d'affirmer l'athéisme revendiqué du poète contre des lectures « crypto-chrétiennes ») de son essai.

Des « iconologues lacaniens », Patrick Née retient comme vraie la thèse de « l'origine sexuelle de la beauté » et, dans l'image, celle d'un désir plus ancien conduisant vers l'originaire, le matriciel. Mais leur lucidité s'aveugle sur elle-même quand elle se satisfait d'une déconstruction, d'une désillusion qui ferait du voyeurisme (de Courbet à Duchamp) la fin de l'art. Ce que la dialectique d'Yves Bonnefoy entre « présence » et « représentation » enseigne – d'un enseignement qui est d'abord une pratique –, c'est le[...]

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