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BONNEFOY YVES (1923-2016)

Poésie, peinture, musique

Parallèlement, Yves Bonnefoy compose des récits en prose, davantage sculptés par les événements biographiques, les exigences de l'inconscient, les épiphanies nées des voyages et du dialogue avec la peinture italienne. Commencée avec L'Ordalie (écrite dès 1945-1950, publiée en 1974), l'œuvre en prose se poursuit avec L'Arrière-pays (1972), livre majeur fondé sur une structure contrapuntique inédite entre l'écrit et l'image, et Rue Traversière (1977), jusqu'au rassemblement de ces volumes dans les Récits en rêve (1987). L'année 1987, qui voit également la publication du recueil en vers Ce qui fut sans lumière, suggère que la quête du « lieu et de la formule » passe désormais par le double versant assumé du vers et de la prose. Ni poèmes en prose ni récits de rêve, quoique proches de ces deux formes, les Récits en rêve remettent en cause les genres littéraires et cherchent à s'affranchir du concept grâce à une écriture en accord avec la dimension picturale et musicale du langage, capable de restituer la « profonde unité » du réel. Il y va d'une interrogation autour de quelques motifs obsédants : une méditation sur l'image, indissociable de l'affrontement en Bonnefoy du gnostique iconolâtre et du métaphysicien iconoclaste, jusqu'au dépassement de la lutte par un consentement à l'image « simplifiée » ; une méditation sur le « regard » qui, consubstantiel à « l'être » et à la « présence », est opposé à « l'œil », captif de l'« apparence » et du concept (Remarques sur le regard, 2002) ; une méditation sur la voix, seule capable de permettre une sortie hors de la dialectique occidentale du concept et de l'image ; et, au « carrefour » de la question de l'image, du « regard » et de la voix, une méditation centrale sur les deux dimensions de l'amour, l'« éros » et l'« agapè », où le désir de dépassement des dualités tendrait vers l'avènement d'un « éros » en paix dans l'« agapè ». De plus en plus, l'œuvre de Bonnefoy, assumant la coexistence de « la faille » et de « la forme » (Récits en rêve), se distingue du vœu de négativité exprimé par beaucoup de ses contemporains. Sa foi inquiète dans la poésie trouve son accomplissement dans Les Planches courbes (2001) où, après Shelley, est risquée la nouvelle Defence of poetry qu'est la section « Dans le leurre des mots », à vocation d'art poétique et de résistance en « temps de pénurie » : « O poésie/[...]/ Je sais que tu seras, même de nuit/[...]/ Le premier feu à prendre au bas du monde mort ».

Yves Bonnefoy meurt à Paris le 1er juillet 2016.

— Michèle FINCK

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Écrit par

  • : professeur de littérature comparée à l'université de Strasbourg

Classification

Média

Yves Bonnefoy - crédits : Marion Kalter/ AKG-images

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