NAT YVES (1890-1956)
Pianiste pudique, réservé et même secret, Yves Nat a toujours refusé d'être un bateleur d'estrade, un histrion du clavier. Une phrase résume son projet et son trajet artistiques : « Tout pour la musique et rien pour le piano. » Très jeune, à Béziers, sa ville natale, il est initié à la musique : piano, solfège et harmonie. À l'âge de sept ans, il donne son premier récital. À onze ans, Le Clavier bien tempéré ne lui offre plus de secrets. De telles prouesses ne peuvent rester sans suite. De bonnes fées parisiennes, Fauré et Saint-Saëns, se penchent sur son piano. Il monte donc à Toulouse puis à Paris, au Conservatoire, dans la classe de Louis Diémer — qui forma Cortot — et dont il ressort, en 1907, avec un premier prix. Bien vite, il s'attire l'amitié enthousiaste de Debussy et du grand violoniste Ysaÿe, qui promeuvent sa carrière internationale de virtuose.
Très vite cette expérience, faite de continuelles déambulations et de prestations trop souvent superficielles, déplaît profondément à Yves Nat, qui souhaite une approche plus authentique du domaine musical, et cela principalement par le biais de la composition. En attendant, il faut bien vivre et donc autant préférer aux simagrées obligatoires du soliste le rôle ingrat mais noble du pédagogue. En 1934, Nat est nommé professeur de piano au Conservatoire de Paris, charge qu'il exercera avec intégrité et abnégation, refusant le rôle coutumier du maître, mais faisant partager une foi exigeante en son art : « Je n'enseigne pas le piano, mais la musique », aimera-t-il à dire.
Cette ferveur musicale est la résultante d'une profonde foi chrétienne et prône donc un complet effacement de l'individu face à la création qu'il interprète ou, mieux, restitue. Humble intercesseur entre le compositeur et l'auditeur, le pianiste n'est alors plus conçu que comme un relais : « L'interprétation idéale présuppose un oubli total de la personne au bénéfice de l'œuvre. S'oublier totalement, afin que l'œuvre se ressouvienne. Qu'elle ait tout de notre être, sensiblement, éloquemment obéissant. » Beau programme, fort heureusement théorique. Dès qu'il y a interprétation, il y a forcément subjectivité et donc choix parmi une infinité de possibles. On conçoit ainsi les interrogations et les inquiétudes qui poursuivirent Yves Nat durant toute sa vie et dont ses Carnets donnent l'écho. Pianiste malgré lui, il avait l'impression de détourner le temps dû à la réflexion du compositeur. Compositeur, il éprouvait douloureusement l'inadéquation entre le projet créatif et sa réalisation ; d'où la rareté de sa production : un cahier de Préludes et une Sonatine (1920) pour piano ; L'Enfer, poème symphonique dans lequel Nat investit beaucoup de travail et de tourments (1942) et enfin un Concerto pour piano, créé et enregistré par lui-même (1952).
L'héritage discographique de Nat pianiste, de quantité relativement réduite, est d'une exceptionnelle qualité : qualité musicale évidemment, mais aussi sonore. Yves Nat, en effet, a enregistré à une époque où le microsillon monophonique connaissait son apogée technique : ses gravures possèdent une présence, un dynamisme qui feraient pâlir bien des enregistrements stéréophoniques plus récents. Cet héritage se compose d'abord et surtout d'une intégrale des sonates de Beethoven dont l'unité d'ensemble et la probité sonore demeurent inégalées ; vient ensuite une anthologie des principales œuvres de Schumann, où l'on assiste à une rare identification entre un instrumentiste et un compositeur, à un rendu quasi médiumnique des partitions. Restent des enregistrements consacrés à Chopin (avec une lecture âpre et sans langueur de la Sonate funèbre), à Brahms (où, dans les Variations sur un[...]
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
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