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SENOCAK ZAFER (1961- )

Né à Ankara en 1961, Zafer Senocak est venu en Allemagne avec sa famille à l'âge de huit ans. « Un écrivain turc, dit-il à son sujet, mais qui écrit en allemand, a même depuis quelque temps un passeport allemand, mais continue à porter un nom imprononçable qu'il doit épeler ainsi : Samuel-Émile-Nord-Otto-César-Antoine-Képi. Voilà comment un nom aux consonances exotiques se transforme en six noms tout à fait familiers. Familiers, mais pour qui ? En Allemagne qui s'appelle Samuel ? Qui s'appelle Émile ? Qui s'appelle Nord ? L'Allemagne est le nord de mon identité. »

C'est par la poésie (Das senkrechte Meer, 1991, La Mer verticale, 1999) que Senocak s'est d'abord fait connaître. Une poésie néo-expressionniste qui s'épanouit dans la figuration libre, et joue de l'ambivalence des langues, l'allemand : « la langue dans laquelle je vis » et le turc, « la langue qui [vit] en moi », image de « ce grand écart qui prépare l'écrivain turc de langue allemande à une identité partagée ».

Fraîchement installé à Berlin au moment des grands changements, Senocak observe avec perspicacité les transformations et les balbutiements d'une Allemagne en quête de réunification. Paraissent alors une série d'essais aux titres souvent provocateurs : Atlas des tropischen Deutschlands, 1992 (Atlas de l'Allemagne tropicale) ; War Hitler Araber ?, 1994 (Hitler était-il arabe ?). Salué par les médias allemands comme « la voix littéraire la plus marquante du multiculturalisme allemand », Zafer Senocak met le doigt sur les blessures mal cicatrisées de l'Allemagne, rappelant qu'elle s'est, elle aussi, construite sur des apports culturels multiples. Si, dit-il, au moment de la chute du Mur, « on a pu déblayer les rues obstruées depuis longtemps, il n'en va pas de même pour l'histoire : on ne peut pas la reconstruire. Elle ne peut qu'être vécue comme une forme inconsciente du présent. La chute du Mur, les Allemands et les émigrés l'ont vécue ensemble, mais ils n'ont vécu ensemble ni la guerre ni la division de la ville. Il existe entre les Berlinois de souche et ceux qui s'y sont installés récemment des différences de vécu et d'interprétation du présent, aussi grandes que celles qui séparent les générations ».

C'est seulement au milieu des années 1990 que Senocak publie ses premières œuvres narratives et romanesques. Quatre œuvres, un ensemble de textes courts et trois récits, qui se complètent dans leur discontinuité (Der Mann im Unterhemd, 1995 ; Die Prätie, 1997 ; Gefährliche Verwandschaft, 1998, Parenté dangereuse, 2001 ; Der Erottomane, 1999, L'Erottoman). Le fil narratif, apparemment déstructuré et éclaté, s'accommode de fréquents changements de perspective et donne souvent au texte l'aspect d'un puzzle dans lequel on aurait délibérément remplacé certaines pièces par des blancs. Au lecteur de rassembler les morceaux épars et de combler les lacunes.

Généralement brefs, mais d'une extrême densité, les récits de Senocak oscillent entre l'ironie, grinçante et provocatrice, et l'érotisme. Sacha, le héros emblématique de plusieurs récits, juif et turc, allemand et musulman, est confronté – malgré ses yeux bleus – aux vieux démons racistes et antisémites d'une Allemagne en quête d'elle-même après la chute du Mur de Berlin.

Dans un recueil d'essais (Zungenentfernung, 2001), Zafer Senocak dit que ses textes reposent sur trois pieds : « se souvenir, inventer, jouer ». Il est bien connu que l'impair peut aider à assurer un équilibre chancelant. Chez Senocak, il confère à l'écriture son caractère ludique et labyrinthique.

— Nicole BARY

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Écrit par

  • : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice

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