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ZEN

Le pointillé épistémologique

La projection objectivante du moi inlassablement opérée par dévolution aux skandha d'une unité substantielle qui en serait le ciment, et dont la réflexion spéculaire représente un cas flagrant, est considérée par le Mahāyāna dans toutes les activités de la personne. La voie d'élection de cette projection est la perception, dont fait aussi partie intégrante la perception indistincte du corps.

Ce que reproche la doctrine est encore une fois l'oubli : oubli de la perception dans la perception même ; remplacement du vécu de l'accomplissement par la croyance à un fini perçu indépendant de la perception ; aveuglement quant à ce qu'appelle śūnyatā-tathatā.

Tout comme la science moderne, dont les objets sont liés aux différentes échelles d'observation qu'elle leur applique, le bouddhisme sait que les contours ou limites apparentes des objets perçus s'offrent comme artifices sur lesquels repose toute démarche logique, comme césures d'être, effets de scalpel de la ségrégation qui gît dans la détermination.

Force est bien de reconnaître, lorsque l'on tente d'analyser la moindre perception, qu'aucune séparation naturelle n'est repérable, qu'aucune frontière supposée ne résiste entre les pôles percevant-perçu au cours de l'acte perceptif. Il n'y a pas de discontinuité physique – ou, si l'on préfère, la discontinuité n'est en aucun point significative – entre ce que nous nommons « objet » et « sujet ». La propagation, la succession, la concomitance des faits physiques dans et par lesquels nous percevons l'objet ne se rompt qu'avec la perception elle-même. En d'autres termes : que l'objet donne lieu à notre perception implique une « communication » au sein d'une unité où nulle insularité ne saurait être ancrée. Le septum par lequel nous nous acharnons à encoconner l'objet pour en faire un défini reste lui-même introuvable et indéterminable ; et pour cause : il est notre décision quant à l'objet, il est création permanente d'un droit de l'objet à l'autonomie. Dans l'acte perceptif consiste cette décision que nous voulons étrangère à nous-mêmes. À défaut d'un droit hypostasié sous le nom d'intelligible, elle ne fonde que le moi, en quelque sorte réverbéré par la constance ou identité temporelle qu'elle défère au phénomène. Pour le Mahāyāna, c'est là notre façon de faire écran à la « co-naissance » de śūnyatā et de tathatā. C'est notre coutume de nous livrer ainsi à l'effet de miroir par quoi notre moi s'accrédite et perdure.

À travers ce désir de pour-soi, nous baptisons et rebaptisons l'autre – autre chose ou autrui – dont la seule raison est d'assurer notre fondation. Une schématisation simple rend compte de cette procédure : percevant et perçu, dissociés par la perception, se situent chacun à un bout de la sorte de pointillé où s'établit si durablement le va-et-vient, l'écho perceptif qui fait notre succulence.

La suggestion du chan est de briser, de tenir pour non avenu ce pointillé institutionnel. Pareille suggestion est, à l'évidence, de la plus grande conséquence : elle ne signifie ni plus ni moins que la destitution de l'épistémologie tout entière de son rôle apollinien, inventé dans les noces mystiques du savoir-sachant avec le savoir-su. Cette suggestion renvoie l'épistémologie au domaine de la critique technique dans l'ordre de la praxis.

On peut douter que le chan parvienne à donner suite à son intention, dès lors qu'il s'autorise à mettre en suspens le postulat d'identité, s'interdisant du même coup l'usage de la négation, donc celui du discours. On peut s'étonner qu'affligé d'une aporie de cette taille le chan se soit survécu, pendant[...]

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  • : fondateur d'Encyclopædia Universalis et directeur de la première édition

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