ZEN
La sémantique du chan
Un examen succinct des concepts régulateurs répandus par la sémantique permet l'abord le moins ardu de ce que nous désignons ici, pour la commodité, par sémantique du chan. Ces concepts sans lesquels notre sémantique s'anéantirait et qui ont donné lieu, souvent en dépit des linguistes, à d'admirables logomachies dans les temps récents sont : signe, signifiant, signifié, signification. Comme par raccroc, et afin de pallier le reproche de non-positivité, on ajoute : référent.
« Le signe linguistique est une entité à deux faces. D'une part sa face signifiante, le signifiant du signe, est une forme phonique constituée elle-même d'unités phoniques successives (les phonèmes) [...]. D'autre part la face signifiée, le signifié du signe [...]. Le signe renvoie, dans la réalité non linguistique, à quelque chose qui n'est pas lui [...] le référent du signe » (Georges Mounin, Clés pour la sémantique). Ces définitions, universellement reçues, sont d'autant plus intéressantes que leur netteté rend cruelle l'absence d'une autre définition, celle de la signification, dont la sémantique est, nous dit-on, la « science ou théorie ».
Les sémanticiens rétorqueront peut-être que, se trouvant enfermés eux-mêmes dans l'acte de signification, il ne leur appartient pas de le définir par un acte abusif de méta-sémantique. Acceptons donc que la théorie de la signification relève d'un type de discours baroque qui, à s'exposer et à s'élucider en revenant sur lui-même, parviendra peut-être quelque jour à produire une excroissance, significative de la signification. Forts d'une telle espérance, contentons-nous de dépouiller les concepts maîtres que l'on nous propose.
Le signe, nous dit-on, est un Janus bifrons, un ceci, une forme phonique : le signifiant, et, d'autre part, quelque chose de différent de ce fait physique : le signifié. On se trouve donc là en présence d'une chose parmi les autres qui, sous l'aspect de signe, se distingue d'elles dès qu'apparaît son double visage de signifiant-signifié. Le signe n'existe qu'ainsi, sous peine de perdre sa spécificité et la dignité particulière que lui confère sa fonction. De phénomène quelconque, il se fait phénomène singulier au cours de cette fonction qui l'active par collusion avec un phénomène d'une autre nature démasqué en même temps : le signifié. Peut-être est-ce cette fonction que les linguistes désignent par signification. Il semble que le signifiant soit du signe la face « chose », repérable dans l'espace et dans le temps, et que le signifié – objet abstrait – en soit à la fois l'âme et la progéniture. De ce signifié on nous dit peu ; il échappe à l'analyse formelle du linguiste. Préciser que dans le signe il est incorporé au signifiant serait introduire le métaphysique dans le réel ; le reconnaître pour épiphanie du concept objectif serait amarrer par pétition le langage au monde des essences. La démarche, dans l'un ou l'autre cas, ne passerait pas pour scientifiquement convenable. C'est qu'il faut en effet, pour franchir ce pas, faire de la signification ou bien une incarnation ou bien une émanation. Selon toute apparence, on favorise tacitement le second terme de l'alternative, moins scandaleux parce que plus vague. Dans cet état de chose ambigu, le volcan signifiant fume la signification en vertu de sa vis semantica ; il délivre une nuée qui le justifie dans son statut de volcan. On en arrive à ce paradoxe que le signifié signifie le signifiant, autrement dit que signifiant et signifié se referment sur la signification réduite de la sorte à une manifestation dépourvue de la pertinence que l'on cherchait précisément à lui conférer. Quant à ce qui joint le signifié au référent[...]
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Écrit par
- Claude GRÉGORY : fondateur d'Encyclopædia Universalis et directeur de la première édition
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