ZEN
Prajñā
Des vertus bouddhiques (pāramitā), il en est une qui domine sur l'ensemble des écoles mahâyânistes : prajñā, la « sapience ».
Les deux mots de vertu et de sapience cependant obscurcissent le sens de prajñā, de même que celui de dāna, autre pāramitā majeure, se ressent de la traduction par « don ». Prajñā et dāna, même en pays bouddhiques, ont fait l'objet d'interprétations simplifiantes qui les adaptaient à la mesure des échanges quotidiens. C'est en foules innombrables que les fidèles, assoiffés de renaissances heureuses, ont, de tout temps, naïvement confondu dāna avec un trafic entre eux et la transcendance, grâce auquel ils croyaient se procurer en leurs vies présente et future des mérites attestés par les Buddha.
Prajñā fut souvent dépeinte comme une sublime lumière inondant et pénétrant celui qui parvient à s'y offrir. Image assez forte mais fort reprochable, qui entraîne la nécessité d'un rayonnement et d'une provenance. Il est vrai que les sūtra, où se joue le grand théâtre allégorique du bouddhisme, fourmillent d'images semblables destinées, dans leur plasticité et leur fluidité, à tenir le rôle d'articles figuratifs aux lieu et place d'impossibles arguments. Les fidèles n'ont pas eu le mal de les inventer. Les images suscitent une crédibilité qui, de substituts analogiques faits pour supporter la pensée, les transforme en matière première prise abusivement pour trésor dont il convient d'inventorier le contenu. Le bouddhisme en est conscient, sans pouvoir toutefois limiter les excès d'une pseudo-herméneutique, fort différente de la symbolique dont il use d'autre part.
Dāna et prajñā ne sont vertus que comme attitudes justes à l'égard de la bodhi. Ainsi sont-elles des modulations du sens d'être.
Dans le Mahāyāna, dāna n'est guère isolable de son contexte. Et plutôt que par « don », il faudrait traduire le mot par « déréliction », mais déréliction assumée et non pas subie. Face à duḥkha, souffrance de la personne et souffrance dans le monde, dāna est un lâcher, un abandon des prises – c'est-à-dire celles qui sont liées à taṇhā (le désir) et entretenues par l'instrumentation illusoire des skandha, et celle du sujet dans la fascination de son auto-engendrement. Dāna est façon de se délivrer des chaînes en désertant le point de vue d'où on les voit telles. L'acception de don n'est qu'une acception restreinte de cette acception plus large de renoncement à l'affouage de l'avoir. Mais la déréliction serait encore illusoire en son simple constat. Elle manifeste, si l'on peut dire, prajñā, celle des six pāramitā qui occupe principalement le chan. C'est alors de non-choix, ni prise ni abandon, qu'il s'agit : « Celui qui cultive la prajñā-pāramitā [...] n'abandonne pas les dharma [objets perçus, conçus, pensées] de profane, il ne prend pas non plus les dharma de Buddha. Pourquoi ? La culture de la prajñā-pāramitā [...] ne comporte pas le moindre dharma qui puisse être abandonné ni pris [...]. Cultiver la prajñā-pāramitā ne comporte ni appropriation, ni prise, ni abandon du moindre dharma (Saptaśatikā prajñā-pāramitā, traduction de P. Demiéville).
« Le Tathāgata (Buddha) n'est pas savoir ni objet de savoir ; il n'est ni connaissance ni objet connu. Il n'est ni caché ni découvert, ni ténèbres ni lumière. Il ne stationne pas et ne marche pas. Le Tathāgata n'a ni nom ni marque. Il n'est ni fort ni faible. Il n'est pas localisé ni sans localisation. Il n'est ni bon ni mauvais, ni souillure ni purification. Il n'est ni conditionné ni inconditionné. Il n'est ni destruction ni non-destruction. Il n'est aucune chose à enseigner ni aucun sens à exposer » (Vimalakīrti nirdeśa[...]
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Écrit par
- Claude GRÉGORY : fondateur d'Encyclopædia Universalis et directeur de la première édition
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