ZÉNON D'ÉLÉE (Ve s. av. J.-C.)
Zénon d'Élée, né aux environs de l'an 500 avant J.-C., fut l'élève et l'ami de Parménide. Celui-ci enseignait que l'être est un, indivisible et immobile, que la multiplicité et le mouvement ne sont qu'illusion. Cette doctrine était taxée d'incohérence par ses adversaires. Afin de défendre son maître, Zénon imagina une série d'arguments qui devaient montrer que les positions de ces détracteurs étaient, plus que toute autre, grevées d'incohérence.
Les arguments de Zénon
L'interprétation que Platon donna du livre, aujourd'hui perdu, de Zénon (cf. Parménide, 128 a-e), et selon laquelle les arguments de celui-ci voulaient montrer l'incohérence des adversaires de Parménide, n'a pas été jusqu'ici sérieusement contestée. Elle s'accorde d'ailleurs avec la tradition qui, transmise par Diogène Laërce (Vie des philosophes, liv. VIII, chap. lvii), fait de Zénon, aux dires d' Aristote lui-même, « l'inventeur de la dialectique ». Il est en effet vraisemblable que les sophistes, Socrate, Platon et Aristote se sont tous inspirés de la façon dont Zénon entendait combattre la thèse de ses adversaires : il la réduisait à l'absurde. Cette méthode qui est aujourd'hui encore couramment pratiquée, notamment en mathématiques, est un instrument adéquat quand il s'agit d'établir une proposition dont il n'est pas possible, en raison de son lien intime avec les axiomes, de fournir une preuve directe. Zénon aurait donc inventé une méthode indirecte de prouver une telle thèse : faire ressortir la contradiction incluse dans l'antithèse. Cette interprétation traditionnelle s'accorde parfaitement avec la lettre des arguments de Zénon qui nous ont été transmis. Ces arguments se trouvent chez Aristote, qui s'est efforcé de les réfuter, et chez Simplicius, philosophe néo-platonicien du vie siècle après J.-C., qui commenta la Physique d'Aristote. Les quatre premiers arguments conservés (1-4), qui ont trait à l'absurdité de la pluralité, ont été rapportés par Simplicius s'il s'agit des deux premiers, par Aristote s'il s'agit des deux autres ; les quatre derniers arguments (5-8), qui ont trait à l'absurdité du mouvement, ont été tous ensemble rapportés par Aristote (Physique, VI, 239 b 5-240 a 18). Voici ces arguments :
1. Si la pluralité existe, elle doit être à la fois infiniment petite et infiniment grande : infiniment petite, parce que ses parties doivent être indivisibles et donc sans grandeur ; infiniment grande, parce que toute partie sera séparée d'une autre par une troisième, cette dernière de la première et de la deuxième par une quatrième et une cinquième, et ainsi indéfiniment.
2. Si la pluralité existe, elle doit être à la fois finie et infinie en nombre : numériquement finie, parce qu'il y a autant de choses qu'il y en a, ni plus ni moins ; numériquement infinie, parce que deux choses sont séparées par une troisième, celle-ci est séparée de la première par une quatrième, de la deuxième par une cinquième, et ainsi indéfiniment.
3. Si tout ce qui est est dans un lieu, ce lieu lui-même doit être dans un autre lieu, et ainsi indéfiniment.
4. Si un boisseau de blé fait du bruit en tombant, il doit en être de même de chaque grain de blé, et même de chaque partie d'un grain.
5. Avant qu'un corps en mouvement puisse atteindre un point donné, il doit d'abord traverser la moitié de cette distance ; avant qu'il puisse atteindre cette moitié, il doit d'abord traverser le quart, et ainsi indéfiniment.
6. Si la tortue a de l'avance sur Achille, celui-ci ne pourra jamais la rattraper, quelle que soit sa vitesse ; car, pendant qu'Achille court pour atteindre le point d'où est partie la tortue, celle-ci avance de telle sorte qu'Achille[...]
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Écrit par
- Hervé BARREAU : maître de recherche au C.N.R.S., responsable de l'E.R. fondements des sciences
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