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ZÉNON D'ÉLÉE (Ve s. av. J.-C.)

Les commentateurs

Les commentateurs ont cherché à découvrir quel sens était caché dans l'ordre de tels arguments, en particulier pour les quatre derniers qui sont relatifs au mouvement et qui semblent bien appartenir au même développement. On se bornera ici à examiner les interprétations proposées pour les arguments 5-8, qui ont reçu les appellations traditionnelles suivantes : la « dichotomie », l'« Achille », la « flèche », le « stade ».

Pour les uns, fidèles à l'interprétation traditionnelle quant à l'essentiel, Zénon voulait faire ressortir l'absurdité du mouvement soit dans l'hypothèse de la continuité, spatiale et temporelle, divisible à l'infini (arguments 5-6), soit dans l'hypothèse de la discontinuité radicale de la réalité (arguments 7-8). Telle est l'interprétation de Charles Renouvier, reprise par Victor Brochard. Mais cette interprétation ne tient pas compte de la lettre des arguments, qui ne suggère rien de semblable, et qui pourrait s'adapter, pour chaque argument, à l'une et à l'autre hypothèse, comme l'a montré Alexandre Koyré. D'ailleurs, les deux premiers arguments contre la pluralité montrent que la contradiction que Zénon veut y dénoncer est celle de l'introduction simultanée des deux hypothèses contradictoires, continuiste et discontinuiste. Si vous introduisez le multiple, semble dire Zénon, vous le faites à la fois fini et infini, limité et illimité en nombre. Il est donc très improbable que Zénon ait donné à ses arguments sur le mouvement la forme d'un dilemme. L'idée que le dilemme caractérise la méthode dialectique apparaît chez Kant, qui avait trouvé dans le Parménide de Platon le type d'argumentation consistant à tirer les mêmes conclusions d'hypothèses opposées et qui avait transposé ce mode d'argumentation dans sa dialectique transcendantale afin d'y vérifier l'idéalité de l'espace et du temps. Il n'est donc pas étonnant que les néo-criticistes, comme Renouvier, qui s'inspiraient de Kant, aient reporté à Zénon l'origine du dilemme dialectique. Il est moins compréhensible que leur interprétation ait trouvé crédit chez ceux qui n'adoptaient pas leur philosophie.

Pour les autres, attentifs au développement des représentations mathématiques, Zénon serait un précurseur du calcul infinitésimal. Ses adversaires seraient les pythagoriciens, attachés à la pluralité discontinue des nombres. Il ne faudrait pas voir en lui un négateur du mouvement, mais un contempteur d'un mathématisme étroit. Telle est l'interprétation de Paul Tannery, reprise dans une large mesure par J. E. Raven et G. S. Kirk. Mais cette manière de voir repose sur des positions prêtées aux pythagoriciens qui sont fort incertaines, comme l'a montré G. Vlastos ; elle prête à Zénon un souci scientifique qui n'est nullement attesté par la tradition ; enfin, elle lui fait crédit d'une solution qui ne répond pas aux difficultés qu'il a soulevées, quand elle le soupçonne de trouver cette solution dans l'existence d'une limite caractéristique des séries convergentes. Sur ce dernier point, les néo-criticistes et Henri Bergson avaient sans doute raison de refuser cette interprétation comme infidèle à l'esprit des arguments.

Quelle interprétation peut-on finalement proposer ? Sans doute faut-il ne pas s'écarter de l'interprétation traditionnelle, quant à l'intention prêtée à Zénon, tout en essayant d'expliquer pourquoi il a eu recours aux quatre célèbres arguments. On pourrait dire ceci : si Zénon a présenté ces quatre arguments, c'est qu'il voulait faire porter sa critique sur les quatre notions qui sont liées à la représentation du mouvement ; la distance parcourue et la vitesse, qui combinent les représentations d'espace et de temps, l'instant et la [...]

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Écrit par

  • : maître de recherche au C.N.R.S., responsable de l'E.R. fondements des sciences

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