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ZHANG XUECHENG[TCHANG HIUE-TCH'ENG](1738-1801)

L'ère Qianlong (1736-1796) se caractérise notamment, pour ce qui est de la pensée, par un mouvement de critique de l'orthodoxie confucianiste qui s'exerça surtout dans le domaine philologique, dans l'étude textuelle de l'ensemble des livres « classiques », du Canon (Jing) qui est la bible du confucianisme ; mais, chez les plus fortes têtes, cette critique prit un tour philosophique qui devait peser sur l'évolution de la culture chinoise. Zhang Xuecheng (alias Zhang Shizhai), esprit indépendant et original, réagit contre les excès de cette philologie « biblique » en se retournant vers l'histoire, dont il s'attacha à fouiller les données, la méthodologie, les fondements philosophiques. Les « classiques » n'étaient pour lui que des documents historiques. C'est une figure d'historiographe et de philosophe de l'histoire qui se classe au niveau d'un Ibn Khaldūn (1332-1406) ou d'un Giambattista Vico (1668-1744), plus haut peut-être en raison de l'importance de la tradition historique chinoise, sans égale par sa masse comme par sa continuité. Son « panhistoricisme » repose sur l'idée ambivalente que la Bible est histoire parce que l'histoire est une bible. Les documents du Canon confucianiste, source de toute autorité normative, sont une illustration de la Voie, du dao, qui est immanent dans les « faits » historiques (shí ; Geschichte de Hegel) ; l'histoire (shǐ, mot apparenté étymologiquement ; Historie de Hegel) a donc valeur normative, valeur de règle, de canon. Elle hypostasie ici-bas, sur la Terre, le dao du Ciel qui est d'ordre métaphysique (supraphysique, xing'ershang) et ne devient « visible » à l'homme que dans ses manifestations de « fait » (de même, pour Hegel, l'histoire universelle est la réalisation du dessein de Dieu). D'où, sur le plan méthodologique, des conséquences d'un curieux modernisme : l'histoire (shǐ) doit s'en tenir aux faits (shí) et se garder des théories (li). L'historien doit laisser parler les faits ; il doit respecter les documents, sans y mêler des mots vides, sans laisser l'humain (le « trop humain ») empiéter sur le céleste. Il n'en doit pas moins être animé d'un esprit de synthèse (yuantong) par-delà la collecte et la compilation des documents, auxquelles l'histoire s'est trop souvent bornée en Chine. L'insistance sur les « faits », sur la pratique dans ses rapports avec la « connaissance », est typique de la mentalité chinoise ; on la retrouve de nos jours jusque chez Mao Zedong. La pensée de Zhang Xuecheng est pleine de contradictions, comme celle d'Ibn Khaldūn ou de Vico ; l'accès nous en est difficile, en raison des perspectives purement chinoises dans lesquelles elle s'encadre et qui nous restent absolument étrangères. L'œuvre, restée méconnue et en grande partie inédite de son vivant, a été ressuscitée il y a un demi-siècle par l'intelligentsia chinoise et japonaise que travaillait l'impact occidental. On y trouve notamment un grand nombre de lettres qui projettent une lumière incisive sur la vie culturelle du xviiie siècle chinois ; celles que Zhang Xuecheng échangea avec son contemporain Dai Zhen (1724-1777), grand philologue, mais philosophe lui aussi, sont particulièrement éclairantes.

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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  • CHINOISE (CIVILISATION) - La littérature

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    ...vive opposition. Il eut affaire, entre autres, à un adversaire d'autant plus redoutable qu'il était, lui aussi, un esprit libre et original, l'historien Zhang Xuecheng (1738-1801). Issu, comme Dai Zhen, de souche populaire, de caractère encore plus indépendant peut-être, Zhang Xuecheng s'était assigné le...