ZHOU ENLAI[TCHEOU NGEN-LAI]ou CHOU EN-LAI (1898-1976)
Dans l'ombre de Mao
Les retournements fréquents et parfois brutaux de la ligne politique du parti ont souvent occasionné ou accompagné des modifications dans le personnel dirigeant, mais Zhou Enlai a survécu à toutes les crises, disponible pour appliquer une politique opposée à celle qu'il préconisait la veille. En juillet 1930, par exemple, il défendait encore à Moscou la stratégie d'attaque des grandes villes (connue dans l'histoire du parti sous le nom de « ligne Li Lisan ») qui devait conduire à l'échec dans les semaines suivantes. Qu'à cela ne tienne : Zhou Enlai fait son autocritique et se retrouve six mois plus tard dans la direction qui succède à celle de Li Lisan. Il soutient le nouveau bureau politique, truffé de poulains de Staline (les « vingt-huit bolcheviks »), et combat à leur côté l'influence de Mao Zedong dans les soviets du Jiangxi. Il hérite même en 1932 du poste de commissaire politique de la Ire Armée rouge, enlevé à Mao, dont il critique et modifie la stratégie. À Zunyi en janvier 1935, la première pause importante que les fuyards peuvent s'accorder au cours de la Longue Marche fournit à Mao l'occasion de s'imposer à la tête du parti. Zhou Enlai vole au secours de la victoire, soutient derechef Mao quelques mois plus tard contre un autre rival, Zhang Guotao, et émerge de la Longue Marche à peine moins puissant dans le parti maoïste qu'il ne l'avait été dans les directions successives qui avaient sous-estimé l'entreprise paysanne de Mao, puis combattu de l'intérieur son autorité dans la République soviétique qu'il avait fondée.
Ensuite, Zhou Enlai a presque toujours soutenu Mao contre ses adversaires. Le déclenchement de la révolution culturelle a cependant dû lui poser un problème épineux, l'autorité de Mao ayant été fortement ébranlée par ses échecs successifs (les Cent Fleurs, et surtout le Grand Bond). Sur le fond du débat, les responsabilités administratives de Zhou et son pragmatisme auraient dû le rendre solidaire des gestionnaires attaqués par Mao. S'il a néanmoins, après avoir pris son temps, soutenu la faction Mao-Lin Biao, c'est sans doute que son flair et les informations dont il disposait lui ont fait conclure qu'elle allait l'emporter. Comme à Zunyi, il visait à ne pas perdre – ou à perdre le moins possible : franchir une passe difficile en préservant son avenir politique. Zhou Enlai paraît n'avoir jamais intrigué pour supplanter autrui, ni poussé ses intérêts. S'étant trouvé rapidement proche du sommet de la hiérarchie, il semble n'avoir à aucun moment guigné la première place.
On peut donc supposer qu'une bonne dose de sagesse et de connaissance de soi entrait dans la composition de sa légendaire habileté. C'est à la place qui fut la sienne, juste au-dessous du chef charismatique, que Zhou Enlai s'est accompli et qu'il a le mieux servi son parti et son pays. Dépourvu de la vision à long terme d'un Mao, il n'avait pas non plus la même capacité, ni sans doute la même volonté d'imprimer sa marque. Mais il possédait d'autres qualités : adresse, souplesse et charme bien sûr, mais aussi ténacité et énergie de l'animateur et de l'organisateur né, attentif au moindre détail et constamment disponible. Au plus fort de la crise provoquée par la révolution culturelle, ce fut la chance de Mao et de la Chine que la purge ait épargné l'opportuniste Zhou. Ce frêle vieillard, attaqué dans sa personne ou à travers ses ministres, semblait porter à bout de bras l'énorme et chancelant pays. Mainteneur – avec l'armée – de l'unité chinoise en 1967-1968, Zhou Enlai a été dès le lendemain de la révolution culturelle l'artisan de la rentrée spectaculaire de son pays sur la scène internationale. Sans doute les succès diplomatiques en cascade (la visite de Nixon à Pékin en février 1972 suivant de près l'admission trop[...]
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Écrit par
- Lucien BIANCO : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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