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ZHUANGZI (TCHOUANG-TSEU) (Zhuang Zhou) Fiche de lecture

Le Zhuangzi est, après le Daode jing de Laozi, le classique le plus important du taoïsme. Son titre, « Maître Zhuang », rappelle que ce livre est attribué à Zhuang Zhou, philosophe taoïste du ive siècle avant J.-C., qui vécut au royaume de Chu, dans le bassin du fleuve Bleu. Les rapports du Zhuangzi avec l'œuvre de Laozi font encore l'objet de débats. Longtemps considéré comme un développement de la pensée du Daode jing, le Zhuangzi apparaît actuellement comme un texte d'une tradition distincte et pourrait même être, selon certains critiques, antérieur au texte de Laozi. Le texte actuel du Zhuangzi se compose de trente-trois chapitres répartis en chapitres internes (i à vii), chapitres externes (viii à xxii) et chapitres mixtes (xxiii à xxxiii). Cette classification prétend refléter les divers degrés d'authenticité de cette œuvre composite due à plusieurs auteurs et dont la compilation s'étend de la fin du ive à la fin du iiie siècle avant J.-C. Au-delà des questions textuelles, le Zhuangzi reste une œuvre fondatrice de la philosophie chinoise et, par sa forme, un monument incontournable de la littérature chinoise.

L'art de la provocation

En s'ouvrant sur l'étrange description d'un immense poisson qui se transforme en oiseau géant, pour continuer par un chapitre prônant l'égalité de toutes choses, la vie et la mort notamment, le Zhuangzi donne d'emblée une idée de l'un de ses tons dominants, la provocation. Ce style apparaît déjà dans la forme. En introduisant des dialogues factices entre Laozi et Kongzi (Confucius), desquels ce dernier sort vaincu et honteux, ou en mettant dans la bouche de Confucius un discours taoïste, le Zhuangzi innove et introduit dans la littérature chinoise la dérision et l'ironie. Mais la provocation est plus forte encore sur le fond. L'époque des Royaumes combattants (465-221 av. J.-C.), durant laquelle ce texte voit le jour, est une période où la philosophie chinoise se cherche. Après l'effondrement du système féodal et centralisé des Zhou, la Chine est en proie aux luttes entre les grands feudataires qui, soucieux avant tout d'unifier la Chine à leur profit, reçoivent volontiers les penseurs les plus divers. Alors que les confucianistes, les disciples de Mozi et les légistes s'efforcent de convaincre les puissants de l'efficacité de leurs doctrines de gouvernement, la voix du Zhuangzi s'élève discrètement pour blâmer la vanité des raisonnements et prôner le retrait de la mêlée. Associant, à travers une qualité littéraire reconnue, l'humour et l'ironie, Zhuangzi s'attache à abattre les certitudes et l'établissement des distinctions. Cette dérision du rationnel et du discursif est fondée sur la relativité de tout, découlant elle-même de l'unité foncière du tout qui n'est autre que la Voie (Dao). Or la Voie ne connaît pas de limites. Fixer des limites par la raison ou le langage revient donc à s'éloigner de la Voie.

La non-pertinence du langage découle du caractère nécessairement limité de la connaissance. La grenouille au fond de son puits est bien incapable de s'imaginer ce que peut être l'océan. Le lettré lui-même est borné et ne peut parler de la Voie car il est prisonnier de ses propres connaissances. Le doute épistémologique s'étend à l'existence elle-même. Dans un passage célèbre, maître Zhuang relate un rêve dans lequel il était un papillon. Dans ce rêve, il jouit de la liberté de voleter jusqu'au moment où il se réveille. Il se pose alors la question de savoir où est le rêve et où est la réalité, et si la réalité ne serait pas qu'un rêve. Tout ce que l'on croit connaître est donc relatif. Les mots et les concepts eux-mêmes sont vains. Ils sont tout au plus des instruments provisoires, tout comme « la raison d'être de la nasse est dans le poisson ».[...]

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Écrit par

  • : docteur de l'École pratique des hautes études (sinologie), agrégé de langue et culture chinoises

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