ZOOS HUMAINS (ouvrage collectif) et L'ÉCRAN ET LE ZOO (O. Razac) Fiche de lecture
« Entre “eux” et “nous”, une barrière infranchissable. » Si toute civilisation élabore une représentation de l'autre qui lui permet de se valoriser elle-même, jamais cette construction n'a été poussée aussi loin qu'en Occident, où elle a accompagné et justifié les conquêtes coloniales : « Jusqu'au xixe siècle, ces représentations de l'altérité ne sont qu'incidentes, pas forcément négatives et ne semblent pas pénétrer profondément dans le corps social. Avec l'établissement des empires coloniaux, la puissance des représentations de l'autre s'impose dans un contexte politique fort différent et dans un mouvement d'expansion historique d'une ampleur inédite. Le tournant fondamental reste la colonisation, car elle impose la nécessité de dominer l'autre, de le domestiquer et donc de le représenter », écrivent Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, qui ont codirigé l'ouvrage collectif Zoos humains, de la Vénus hottentote aux reality shows (La Découverte, 2002), fruit d'une collaboration entre l'Association connaissance de l'histoire de l'Afrique contemporaine (Achac) et l'unité d'anthropologie des représentations du corps au CNRS. Auteur d'un essai de réflexion sur le même sujet, L'Écran et le zoo. Spectacle et domestication, des expositions coloniales à Loft Story (Denoël, 2002), le philosophe Olivier Razac renchérit : « La mise en scène réelle du sauvage et l'exposition de l'exotique ont produit les types humains qui étaient utiles à la situation idéologique et politique. Elles ont diffusé des clichés raciaux qui, digérés par l'opinion publique, hantent encore nos représentations. » La parution de ces deux livres consacrés à un phénomène culturel occulté par la mémoire collective a coïncidé avec la restitution par la France à l'Afrique du Sud, en avril 2002, des restes de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote », exhibée en Europe comme un phénomène de foire, et conservée au musée de l'Homme à Paris depuis sa mort, en 1815. Signe qu'une page est tournée ? Pas sûr. En août 2002, une exhibition de Pygmées dans un parc animalier belge, en vue de récolter des fonds humanitaires pour « aider ce peuple qui vit, en ce début de troisième millénaire, comme nous il y a deux mille ans », suscitait un tollé.
Apparus en 1874 en Allemagne, où un revendeur d'animaux sauvages en a le premier l'idée, les zoos humains, qui montrent « dans leur environnement naturel » des Nubiens, des Lapons, des Samoas, des Caraïbes, des Somalis…, attirent des millions de spectateurs en Europe et aux États-Unis. Ils popularisent les théories « scientifiques » de la hiérarchie des races et sont le clou des expositions coloniales, dont la plus importante, portée par le maréchal Lyautey, se tient en 1931 à Vincennes. Une évolution se dessine pourtant à la veille de la Première Guerre mondiale : pour illustrer les progrès de la « pacification », on ne présente plus les « sauvages » comme dangereux, sanguinaires, anthropophages, mais comme des êtres doux, inoffensifs, simples d'esprit, que le colon peut espérer civiliser. Dans tous les cas, cependant, ils doivent offrir l'image d'une altérité irréductible : « Ils sont présentés comme absolument différents, et la mise en scène européenne les oblige à se conduire comme tels, puisqu'il leur est interdit de manifester tout signe d'assimilation, d'occidentalisation aussi longtemps qu'ils sont montrés », écrivent Bancel, Blanchard et Lemaire. L'« authenticité » revendiquée des zoos humains est fabriquée de toute pièce : « En 1883, raconte Olivier Razac, on juge que les “Peaux-Rouges” exhibés au jardin d'Acclimatation ne font pas suffisamment “sauvages”. Ainsi, pour les rendre[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Mona CHOLLET : journaliste