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MUSIC ZORAN (1909-2005)

Né à Gorizia, alors dénommée Görz (Frioul-Vénétie julienne), le 12 février 1909, mort à Venise le 25 mai 2005, le peintre Zoran Music fut l'un des derniers témoins d'un monde aujourd'hui disparu, dont il allait rendre compte dès 1946 dans ses dessins, gravures et toiles. Cet homme à la haute stature et au visage de guerrier tatare a traversé le terrible xxe siècle, et a été traversé par lui. Dans un entretien avec Michael Peppiatt, publié dans le catalogue de l'exposition consacrée à l'artiste au Grand Palais, à Paris, en 1995, il se définit en ces termes : « Je suis une personne senza fissa dimora, comme on dit en italien : sans domicile fixe. Je suis né à Gorizia, qui faisait alors partie de l'Empire austro-hongrois, mais qui était à deux pas de la frontière avec l'Italie. Quand la guerre de 1914 a éclaté, mon père est parti au front. Les gens qui vivaient près de la frontière ont été évacués, et nous avons été transférés à l'intérieur de l'Autriche, en Styrie. Mon père était maître d'école et, plus tard, du fait de son travail, nous avons souvent changé d'endroit. J'ai fait mes études à Zagreb, et des voyages à Vienne et à Cracovie. Ensuite, j'ai fait un long séjour en Espagne, à Madrid surtout et à Tolède. J'ai quitté l'Espagne au début de la guerre civile, et j'ai passé plusieurs années, jusqu'en 1940, en Dalmatie. Mais je ne suis resté nulle part très longtemps. En 1943, je suis parti à Venise, puis j'ai été arrêté par la Gestapo et je me suis installé à Dachau... »

L'énigme de la « présence » humaine

Déraciné par nature, Music trouva cependant dans trois lieux, à bien des égards antagonistes, les fondements de son art : les paysages du Karst, Dachau et Venise. Le Karst est, selon ses propres termes, « la matrice de toute [sa] peinture. Un paysage dépouillé, presque désertique », celui-là même qu'enfant, en Slovénie, il contemplait avec son père. Un paysage nu, minéral, quasi biblique, qui hante toute son œuvre, des Motifs dalmates des années 1940, ou des Paysages siennois et ombriens (1948-1952), aux Motifs végétaux exécutés dans les collines des Maures (1972, Musée national d'art moderne, Paris) et aux Paysages rocheux des années 1980. Aridité, quête de l'élémentaire... C’est parmi les collines du Karst qu'il fixe sa palette autour d'une gamme de couleur et d'une granulation de terres « brûlées ».

Venise, ce carrefour de l'Orient et de l'Occident, où il séjourne une première fois en 1943 et vit à partir de 1946 (en alternance avec Paris à partir 1953), convient à ce « passant », Il Viandante, tel qu'il se présente lui-même. Étonnamment, la ville donnera lieu, une fois passé le premier éblouissement devant la lumière et l'immensité libre du ciel de la lagune, à des tableaux aux couleurs sourdes, où des barges, vues sur la Giudecca, deviennent comme des collines ravinées de pluie... ou des amoncellements de cadavres.

Car, d'évidence, s'il est un lieu qui à jamais change la vie et l'œuvre de cet homme, c'est Dachau, où il est déporté en 1944, pour avoir fréquenté des groupes antinazis. Il y reste jusqu'à la libération des camps, en avril 1945. Là, les dernières semaines notamment, alors que la surveillance s'est un peu relâchée, il parvient à se procurer de quoi dessiner. L'état de « sujet » – la situation de l'artiste étant indissociable ici de ce qu'il montre – concourt à l'authenticité et à la force de ce témoignage, à la vérité de ce document subjectif. « Je commence timidement à dessiner. C'est probablement mon salut. [...] Je dessine comme en transes, m'accrochant morbidement à mes bouts de papier. Je suis comme aveuglé par le grandiose hallucinant de ces champs de cadavres. Vus de loin, ils ressemblaient à des taches de neige blanche,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Provence
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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