ZOROASTRISME
Réforme zoroastrienne ?
La répudiation de toute pratique orgiastique et sanglante semblait donc se combiner avec celle du panthéon ancien comportant des sacrifices animaux, dont les textes ne font pas mystère ; l'action de Zarathuštra se présentait ainsi comme une revendication des éléments de paix et de conversion agraire. Cette synthèse, satisfaisante au premier abord et soutenue par de nombreux savants, se heurte à des objections qu'il est malaisé de tourner. Il faut avant tout expliquer comment il se fait que des conceptions si nettement contradictoires voisinent dans les mêmes Écritures. Doit-on croire à une rentrée en force de la théologie et de la liturgie antiques que le réformateur avait voulu éliminer ? Pourquoi ce retour de flamme n'avait-il pas, à son tour, éliminé les textes gāthiques gênants qui, tout au contraire, conservent une place centrale et toute leur autorité ? Serait-ce qu'ils n'étaient plus compris ? On l'admettra difficilement. Plus sensible à cette difficulté est la théorie qui voit dans les Gāthā l'expression d'une prédication laborieuse, d'une tentative de réforme avortée qui contraignit le novateur lui-même à proposer une solution de compromis en réintégrant, moyennant des accommodements, certains des dieux antiques ainsi que leur accompagnement rituel (H. S. Nyberg). Sans doute les Gāthā attestent-elles l'opposition que devait rencontrer Zarathuštra, mais il est difficile d'y trouver les traces du revirement que l'on suppose. Force est donc de reprendre à la base l'interprétation des textes qui nous avaient paru clairs.
Ce que Zarathuštra combat et rejette, ce n'est pas nécessairement le sacrifice sanglant en général, mais son déroulement violent, cruel, désordonné, la déprédation sauvage, privée de toute mesure rituelle, peut-être même seulement la violence à l'encontre du bovin, l'animal protégé par excellence dans le monde indien. Et peut-être n'est-ce pas le haoma qui est qualifié d'ordure et de liqueur enivrante, mais bien les ersatz qu'on lui substituait.
La condamnation des perversions du culte suppose l'approbation du vrai culte, sans qu'il soit besoin d'y insister. En revanche, l'insistance se marque sur l'excellence des dieux les plus proches d'Ahura Mazdāh, dont les noms abstraits laissent entendre peut-être qu'ils émanent d'une élaboration qui devait enrichir le panthéon traditionnel iranien. Résultat d'une substitution (G. Dumézil) ou d'une élaboration (M. Molé), la formation du groupe des Ameša Spenta demeure obscure, mais ne soulève pas de contradiction insoluble. Ce qui ressort du moins clairement de cette théologie, c'est la marque de l'opposition morale (et, par voie de conséquence, rituelle), dans ce monde et au-delà, qui dérive de la conception centrale et spiritualisée des Gāthā jusque sur les zones mythiques dont le caractère « naturiste » nous est connu par leurs équivalents védiques. Question d'accent sans doute, car il n'est pas évident que les mythes indo-iraniens ne sont pas soutenus par une véritable éthique. De même, il serait trop simple de considérer comme un renversement complet le fait que les Gāthā désignent par daēva des êtres mauvais de la zone des hommes plutôt que des dieux, alors que deva, en védique, ne désigne que ceux-ci ; car l'asura védique n'est pas toujours un dieu hostile. Toujours est-il que la tendance au dualisme moral ira en s'affermissant en Iran, au point que s'établiront deux vocabulaires des êtres et des actions, desservant chacun exclusivement le domaine du bien ou celui du mal. Mais le principe du mal, loin d'incarner la religion antique, est le Mauvais Esprit des Gāthā ; et, même plus tard, les dieux indo-iraniens, Indra entre autres, ne joueront parmi les démons qu'un rôle[...]
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Écrit par
- Jean de MENASCE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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