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ZVIAGUINTSEV ANDREÏ (1964- )

Intérieurs

Quant aux intérieurs, ils s’harmonisent avec le statut social des personnages. L’appartement de Vladimir et d’Elena, vaste et moderne, dispose du confort technique des « nouveaux riches » de la Russie de Vladimir Poutine. Reconstitué en studio (comme souvent chez le cinéaste), décoré avec soin, il est conçu comme un décor de théâtre où, à partir d’un point précis, on embrasse du regard l’ensemble de l’espace habité, du bureau de Vladimir à la cuisine en passant par la chambre d’Elena. Au contraire, situé dans une cité ouvrière, l’appartement de Sergueï, le fils d’Elena, apparaît petit et modeste. Présenté en plans fixes, il nous donne un sentiment d’oppression. Entre ces deux appartements, les voyages d’Elena en car, puis en train, enfin à pied, sont scandés par les accents dramatiques de la Symphonie no 3 de Philip Glass. Dans Faute d’amour, l’appartement mis en vente par Boris et Genia, reflétant le goût et le pouvoir d’achat de la classe moyenne russe, est beaucoup moins vaste et luxueux que celui d’Anton.

Son amour de la peinture incite Andreï Zviaguintsev à concevoir des plans à la manière de citations picturales. Les enfants (Le Retour) observent le père, à demi nu, sur son lit dans une perspective qui cite LaLamentation sur le Christ mort de Mantegna. Le cadrage qui montre Véra dénouant ses cheveux blonds devant un miroir (Le Bannissement) évoque un portrait de Vermeer. Le plan de Dmitri et Lilia, nue au pied du lit dans une chambre d’hôtel, décrochant le téléphone (Léviathan), évoque une toile d’Edward Hopper.

D’une façon générale, le cinéaste privilégie le plan-séquence et développe souvent sa fiction sur un registre pictural. Attaché à la forme musicale du rondo, il donne au récit une construction circulaire. Discernable dès le début du Retour, avec la surface du lac et la tourelle d’où sautent les garçons, la double composition horizontale et verticale des plans se retrouve au fil des séquences. En témoigne en particulier le magnifique plan d’ensemble qui nous présente, près de l’île, l’immense lac avec, à droite de l’image, Ivan en train de pêcher, assis à califourchon sur une longue branche d’arbre qui surplombe l’eau, tandis qu’en profondeur de champ, sur un registre vertical, une forêt de sapins élancés attire notre regard vers le ciel. Le film s’ouvre sur des images subaquatiques qui nous laissent apercevoir l’avant d’une barque échouée au fond de l’eau et se referme sur la barque où gît le corps du père. Elena s’ouvre sur un très long plan-séquence fixe où la caméra cadre un grand arbre dont les branches dénudées cachent en partie le balcon et la baie vitrée d’un bel appartement. C’est l’aube. La vie s’éveille. Le lever du soleil transforme les couleurs du plan qui deviennent progressivement plus lumineuses. Le récit se referme comme il s’était ouvert en cadrant le même arbre devant la baie vitrée de l’appartement occupé maintenant par la famille de Sergueï. Le finale de Léviathan répond lui aussi à l’ouverture : ciel sombre, mer déchaînée, paysage désolé envahi de nouveau par les accents tragiques d’Akhnaten.

Par la qualité de son écriture cinématographique, son souci constant de plaider pour une apologie de l’âme et de la spiritualité, par cette volonté de « rendre l’invisible visible, l’imperceptible perceptible » (Positif, février 2008), Andreï Zviaguintsev se situe dans la droite lignée du cinéma d’Andreï Tarkovski.

— Michel ESTÈVE

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma

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