KRASIŃSKI ZYGMUNT (1812-1859)
Dramaturge de la révolution
La partie la plus originale de La Comédie non divine est celle où, pour la première fois dans la dramaturgie européenne, Krasiński rend sensibles les grands courants collectifs et les lois qui règlent la marche de l'histoire, et prend pour thème la révolution. Dans la phase présente de mutation que traverse l'humanité, l'affrontement sanglant entre l'aristocratie et le peuple annonce la mort d'un monde : celui du passé succombe sous l'assaut des forces de l'avenir. Condamnant à la fois l'aristocratie, vouée à disparaître en raison de ses fautes et de ses crimes, et la révolution dans laquelle il ne voit que violence destructrice, le poète donne à ce combat une issue conforme à la logique de l'histoire. L'aristocratie est écrasée et le peuple triomphe ; le monde ancien est mort, mais le nouveau est à naître. Ici, la vision flamboyante du Galiléen victorieux et vengeur qui terrasse le chef du peuple à l'instant de son triomphe apporte à cette conclusion un final symbolique et ambigu, dont on se demande s'il est le jugement terrible porté sur l'œuvre ultime d'anéantissement et marque le terme de l'histoire ou s'il est le signe prophétique d'une lointaine espérance éclairant la nature et le sens d'un salut ultérieur. En même temps que jugement critique de la révolution, La Comédie non divine l'était du romantisme : l'auteur y dénonçait un art détourné du réel, commandé par l'imagination poursuivant ses chimères, activité d'un acteur orgueilleux, vivant et créant dans le mensonge, sacrifiant tout à un monstrueux égoïsme aussi fatal à son entourage qu'au salut de son âme. Une conclusion profondément pessimiste se dégage de cette œuvre : l'homme du siècle, incarné dans le protagoniste du drame – poète atteint par le mal romantique, aristocrate confronté à la révolution –, ne trouve sa place ni dans ce monde ni dans l'autre.
Sa douleur de patriote, Krasiński la transpose dans Irydion. Projeté dans le passé, au temps de la Rome impériale, sous le règne d'Héliogabale, le drame se situe à une époque qui est celle d'une mutation, entre le déclin de l'Empire et la naissance du christianisme historique, dont le règne, marqué par la puissance temporelle des papes, qui a fait de la Rome chrétienne l'héritière de la Rome impériale, dure encore aujourd'hui (comme venait d'en témoigner la condamnation de l'insurrection polonaise par Grégoire XVI). Ce cadre, l'arrière-plan de la lutte entre Rome et la Grèce, l'insertion de l'action dans une cassure de l'histoire donnent à cette œuvre son ampleur et ses références multiples à l'actualité. À travers le jeu subtilement étudié des forces historiques en présence, le drame est une condamnation péremptoire de l'action violente guidée par la vengeance et la haine telle que le fils de la Grèce captive l'avait entreprise pour renverser l'Empire. Krasiński, au contraire, glorifie une autre attitude dans la résistance à l'oppression : l'action inspirée par l'amour, la patience et l'humilité et qui peut seule, au-delà des épreuves, conduire au triomphe et à la liberté.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean BOURRILLY : professeur à l'université de Paris-IV
Classification
Autres références
-
POLOGNE
- Écrit par Jean BOURRILLY , Encyclopædia Universalis , Georges LANGROD , Michel LARAN , Marie-Claude MAUREL , Georges MOND , Jean-Yves POTEL et Hélène WLODARCZYK
- 44 233 mots
- 27 médias
...les conditions de l'exil et de l'émigration, va éclater l'originalité du romantisme, avec Adam Mickiewicz (1798-1855), Juliusz Słowacki (1809-1849) et Zygmunt Krasiński (1812-1859), ceux auxquels est appliquée la notion spécifique de wieszcz : poète inspiré, barde, prophète, guide spirituel de la nation...