2-10 décembre 1986
France. Pause dans la politique des réformes après l'agitation universitaire
Le 2, les principaux responsables du gouvernement et de la majorité se réunissent autour de Jacques Chirac pour définir une stratégie face à la contestation étudiante, à la veille de la manifestation du 4, organisée par la Coordination nationale des étudiants et des lycéens pour demander le retrait du projet de réforme des universités : le projet, présenté par Alain Devaquet, ministre délégué chargé de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, a été renvoyé en commission pour « réécriture », le 28 novembre, à l'Assemblée nationale.
Le 4, la manifestation est le plus important rassemblement étudiant à Paris depuis 1968 : elle réunit plus de 500 000 étudiants de Paris et de province et se déroule sans autres incidents que quelques provocations émanant de loubards, pendant cinq heures, de la place de la République à l'esplanade des Invalides. Mais, vers 20 heures, après le refus de négocier de René Monory et l'ordre donné aux policiers de faire évacuer l'esplanade, les forces de l'ordre chargent les étudiants : il y a trois blessés graves parmi les manifestants.
Le 5, René Monory prononce sur les trois chaînes de télévision une « déclaration gouvernementale » selon laquelle il va « prendre en main » le dossier universitaire à la demande de Jacques Chirac, les points contestés (droits d'inscription, diplômes nationaux et sélection) sont retirés du projet de loi, la réforme des lycées est reportée et une vaste concertation sur les problèmes éducatifs va être mise en œuvre. Dans le même temps, un défilé de jeunes s'achève au quartier Latin par l'occupation de la cour de la Sorbonne.
Dans la nuit du 5 au 6, rue Monsieur-le-Prince, des policiers, d'un peloton voltigeur motocycliste, chargés de disperser les derniers manifestants du quartier Latin, frappent Malik Oussekine, un étudiant de vingt-deux ans ; la cause de la mort de celui-ci (traumatismes, insuffisance rénale, ou conjonction des deux) donne lieu à des controverses.
Le 6, une manifestation de deuil et de protestation « contre la répression » rassemble à nouveau plusieurs dizaines de milliers d'étudiants, de la Sorbonne à la place d'Italie. Après la dispersion, de sérieux affrontements ont lieu pendant une partie de la nuit entre les forces de l'ordre et des groupes incontrôlés au quartier Latin. Cependant, Alain Devaquet annonce qu'il a remis sa démission, après la déclaration de René Monory, et Jacques Chirac, rentré précipitamment de Londres, s'entretient avec François Mitterrand, qui déclare : « La cohésion nationale doit passer avant toute chose. Je donnerai tort, et le pays avec moi, à quiconque usera de la violence. »
Le 7, les dirigeants du R.P.R. célèbrent le dixième anniversaire de leur mouvement à la Défense. La fête est assombrie par la mort de Malik Oussekine. Jacques Chirac dénonce les tentatives de déstabilisation et se déclare ouvert à toute forme de dialogue. La Coordination étudiante appelle à une journée de deuil pour le lendemain et lance un appel à la grève générale pour le mercredi 10. La C.G.T. se rallie à ce mot d'ordre.
Le 8, Jacques Chirac, à la demande d'une partie de sa majorité, et à celle de François Mitterrand, décide le retrait de l'ensemble de la réforme universitaire ; la démission d'Alain Devaquet est acceptée.
Le 9, devant les groupes R.P.R. et U.D.F. de l'Assemblée nationale, Jacques Chirac annonce que, contrairement à ce qui a été prévu, il n'y aura pas de session extraordinaire du Parlement en janvier. Des textes importants comme la réforme du code de nationalité ou la création de prisons privées sont ainsi renvoyés à la session d'avril. En fin d'après-midi, François Mitterrand, invité de l'émission Découvertes sur Europe 1, se félicite que Jacques Chirac recherche une pause dans la politique des réformes. Il apporte son soutien aux manifestations étudiantes en se disant « sur la même longueur d'onde », et ajoute que le retrait du projet de loi Devaquet a été un « acte de sagesse ».
Le 10, sur le thème « Plus jamais ça », des manifestations sont organisées dans toute la France pour protester contre la répression policière et rappeler la mémoire de Malik Oussekine. À Paris, 300 000 personnes défilent dans le calme de Denfert-Rochereau à la Nation, encadrées par un service d'ordre étudiant renforcé par des syndicalistes et par un regroupement de médecins, avocats, magistrats portant des casques blancs, venus pour témoigner et éviter tout dérapage.