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7-27 février 1997

France. Mobilisation contre le projet de loi sur l'immigration

Le 7, le Sénat adopte en première lecture le projet de loi sur l'immigration présenté par le ministre de l'Intérieur Jean-Louis Debré et déjà discuté devant l'Assemblée nationale, dans une relative indifférence, en décembre 1996. Les débats y sont plus vifs, des critiques ayant été exprimées par des associations de défense des droits de l'homme, dont certaines ont lancé des appels à la « désobéissance civile », ainsi que par des élus et des intellectuels. L'ancien garde des Sceaux Robert Badinter (P.S.), accuse le gouvernement d'ouvrir « un boulevard aux succès électoraux du Front national [...] et à la “lepénisation” des esprits ». La principale mesure incriminée concerne l'obligation pour toute personne hébergeant à son domicile un étranger qui ne présente pas de garantie financière suffisante, et qui doit donc se faire délivrer un certificat par la mairie pour obtenir un visa de court séjour, de signaler son départ aux autorités municipales. Le Conseil d'État avait refusé, en octobre 1996, d'accorder son aval à cette disposition qui porte « atteinte à la liberté individuelle et à la vie privée de l'hébergeant ». Le projet de loi, « texte d'équilibre » selon le gouvernement, d'une part, prévoit l'octroi d'une carte de séjour d'un an à certaines catégories d'étrangers qui ne peuvent être ni régularisés ni expulsés ou qui sont présents sur le sol français depuis plus de quinze ans ; d'autre part, il durcit les textes existants, notamment en supprimant le renouvellement automatique de la carte de résident, qui sera soumis à l'absence de menace à l'ordre public, en portant de vingt-quatre à quarante-huit heures la durée de rétention administrative d'un « sans-papiers » avant la saisine d'un juge, en réduisant la portée des remises en liberté ordonnées par le juge, en renforçant les pouvoirs des policiers et des gendarmes en matière de contrôle des véhicules et de lutte contre le travail clandestin dans les entreprises et en autorisant le relevé et la mise en mémoire des empreintes des demandeurs de titre de séjour étrangers à l'Union européenne.

Le 11, cinquante-neuf cinéastes publient un appel à « désobéir pour ne pas se soumettre à des lois inhumaines », dans lequel ils se déclarent coupables d'avoir hébergé des étrangers en situation irrégulière et demandent à être jugés, comme l'enseignante dont il citent la récente condamnation pour ce motif.

Le 12, le gouvernement condamne fermement cette initiative.

Le 13, cent cinquante-cinq écrivains se rallient à l'appel des cinéastes. Les jours suivants, d'autres professions, artistiques, ou non, se mobilisent dans le même sens.

Le 18, trente-huit « responsables politiques », parmi lesquels un socialiste et un communiste, s'associent à l'appel des cinéastes.

Le 18 également, la majorité propose, avec l'accord du Premier ministre Alain Juppé, des amendements visant à remplacer l'obligation faite à l'hébergeant de signaler le départ de son hôte.

Le 19, les syndicats condamnent à leur tour le projet de loi Debré, dont ils demandent le retrait.

Le 20, le Parlement européen adopte, à l'occasion d'un débat sur le racisme, la xénophobie et l'extrême droite, une résolution demandant au gouvernement français de « retirer le projet de loi Debré », par 106 voix contre 101. Le chef de l'État et le gouvernement qualifieront cette initiative d'« ingérence ».

Le 22, cent mille personnes manifestent à Paris, derrière les signataires de l'appel à la désobéissance, contre le projet de loi Debré et contre la propagation des thèses du Front national. Des défilés ont également lieu dans les grandes villes de province. Se plaçant quelque peu en retrait du mouvement de désobéissance, qu'il déclare soutenir à titre personnel mais pas en tant que dirigeant politique, le premier secrétaire du Parti socialiste, Lionel Jospin, choisit de manifester à Toulouse.

Le 25, plusieurs milliers de personnes se mobilisent à nouveau à l'occasion de l'examen en seconde lecture, à l'Assemblée, du projet de loi sur l'immigration. Le président du groupe socialiste, Laurent Fabius, affirme que « l'immigration n'est pas le problème numéro un de la France » et qualifie le projet gouvernemental de « loi du soupçon ». Jean-Louis Debré répond qu'« en luttant contre l'immigration irrégulière et contre le travail clandestin [il] participe à l'action de l'ensemble du gouvernement pour l'emploi ».

Le 26, les députés adoptent un amendement de Pierre Mazeaud (R.P.R.), président de la commission des lois, qui modifie l'article le plus critiqué du projet de loi en spécifiant que c'est à l'hébergé – et non à l'hébergeant – que la charge incombe de remettre son certificat d'hébergement aux services de police – et non à la mairie – lors de son départ du territoire. Le ministre de l'Intérieur reconnaît toutefois que le nouveau dispositif de contrôle des certificats d'hébergement entraîne la création d'un fichier des demandeurs étrangers. Par ailleurs, la délivrance des certificats d'hébergement est confiée aux préfets et non plus aux maires, qui seront toutefois consultés.

Le 27, l'Assemblée adopte le projet de loi Debré par 113 voix contre 61. Le même jour, les cinéastes à l'origine du mouvement se retirent de la coordination des différents collectifs hostiles au projet de loi Debré, en laissant le soin « à chacun de nous de trouver la façon de prolonger » le « combat ».

Le 27 également, l'Institut national de la statistique et des études économiques publie un rapport qui montre que la proportion des immigrés dans la population française est stable depuis vingt ans.

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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